Écho de presse

Le talentueux faussaire qui dupa les nazis

le 17/08/2019 par Michèle Pedinielli
le 07/02/2018 par Michèle Pedinielli - modifié le 17/08/2019
Han Van Meegeren, faussaire d'une extraordinaire habileté, dans son atelier en 1945 - source : Nationaal Archief NL-WikiCommons

En octobre 1947 s’ouvre le procès de Van Meegeren, faussaire génial, « spécialiste » de Vermeer. Avant et pendant la guerre, il a réalisé et vendu des dizaines de toiles attribuées à des maîtres néerlandais.

« Se venger des critiques hollandais qui refusaient de reconnaître son talent personnel [], prouver son génie en se montrant capable d’égaler les grands maîtres du XVIIe siècle. » Telle était la motivation première de Han Van Meegeren.

Lorsque s’ouvre son procès en octobre 1947, le monde de l’art et le grand public découvrent un faussaire génial. Dans les années 30 et 40, ce peintre hollandais a imité des toiles de maître à la perfection, se spécialisant dans les artistes néerlandais du XVIIe siècle comme Pieter de Hooch, Gerard ter Borch et surtout Johannes Vermeer. Il se passionne pour la peinture de ce dernier, peu connu à cette époque.

Parmi ses premiers faux inspirés de Johannes Vermeer, on retrouve Femme lisant de la musique (1934), et Femme jouant de la musique (1935-36). Mais son chef-d’œuvre reste Les Disciples dEmmaüs (1936-37), qui trompe tous les experts d’art de l’époque, y compris Abraham Bredius, le célèbre connaisseur de Vermeer.

Van Meegeren réussit non seulement à se venger des critiques mais aussi à gagner sa vie grâce à sa peinture : on apprend par exemple dans LAube que ses toiles furent acquises par les collectionneurs et les musées pour plus de 250 millions.

« Faussaire d'une extraordinaire habileté, il avait, entre autres, fabriqué sept Vermeer et deux Pieter de Hoch qu'achetèrent, avant la guerre, des musées hollandais.

Sa technique était telle que les meilleurs experts furent trompés et considérèrent longtemps ses créations comme les meilleures œuvres des peintres anciens. »

Son génie ne consiste pas seulement en une imitation de la peinture, mais également en une recréation des techniques utilisées trois siècles plus tôt.

« Au cours de la première audience, M. Coremans, chef des laboratoires des musées belges, explique que l'examen chimique et microscopique des toiles a montré que Van Meegeren avait réussi à donner à ses tableaux la craquelure particulière aux vieilles toiles en les roulant sur un cylindre et en les chauffant. »

Mais pourquoi s’être dénoncé comme faussaire puisque la supercherie était, de fait, indétectable ? En fait, à la fin de la guerre, Han Van Meegeren est accusé en premier lieu de collaboration avec l’envahisseur allemand, car il a vendu des œuvres d’art aux nazis. Et pas à n’importe quels nazis.

En effet, Hermann Göring, le bras droit d’Hitler, avait acquis Le Christ et la parabole de la femme adultère, un soi-disant « Vermeer » réalisé par Van Meegeren.

À la Libération, celui-ci est arrêté par les Alliés et l’accusation est très lourde : la vente d’un trésor national aux nazis est passible de la peine de mort. Pour éviter cette sentence, Van Meegeren plaide la falsification.

« Et la supercherie n'aurait jamais été découverte si le faussaire, incarcéré à la Libération pour collaborationnisme, ne s'était lui-même vanté d'être lauteur des Pèlerins dEmmaüs qui avaient été achetés par le musée Beymans à Rotterdam, et dont les connaisseurs admiraient la perfection. »

Mais il ne suffit pas de s’affirmer faussaire. Encore faut-il le prouver. Les toiles sont tellement bonnes que les experts du monde entier hésitent à se prononcer. Han Van Meegeren ne voit qu’une solution : peindre une nouvelle toile.

Dans son appartement, il va réaliser un dernier « Vermeer » : Jésus parmi les docteurs. Entre juillet et août 1945, il travaille en présence de six témoins dont un expert de Vermeer et un photographe. La démonstration est concluante, l’accusation de collaborationnisme est abandonnée au profit de falsification d’œuvres d’art.

En novembre 1947, la sentence est prononcée.

« Hans Van Meegeren, le faussaire qui, ayant retrouvé les procédés des anciens maîtres, en profita pour peindre et vendre fort cher 225 millions au total des imitations de Vermeer et dartistes de l'ancienne école hollandaise déroutant les experts, a été condamné à un an de prison.

Le peintre, après avoir accueilli la sentence sans émotion, demanda ce quil adviendrait de ses œuvres. Le juge répondit qu'elles seraient restituées aux acheteurs. »

Han Van Meegeren ne profitera pas de cette peine allégée : il meurt d’une crise cardiaque le 30 décembre de la même année.

Sa mort laisse le monde de l’art dans une grande perplexité. Saura-t-on jamais si les œuvres signées Vermeer exposées dans les musées et les galeries sont des vraies ?

« Les critiques qui avaient “parié” pour l'authenticité ne veulent pas que leur science ait tort. Un critique belge, qui tient les œuvres pour authentiques fera, le 21 mars pour l'ouverture du printemps une conférence sur la question au musée Boymans de Rotterdam.

Les acheteurs ne veulent pas s’être trompés. Un grand industriel de Rotterdam. M. Van Beumgen, possesseur de La Cène, cite en justice... un des experts du procès d'Amsterdam.

Mais la justice hollandaise juge superflu de recommencer indéfiniment ces débats Et le nouveau procès aurait lieu à Bruxelles. »

Critiques et acheteurs vont mener bataille pendant longtemps pour déterminer l’authenticité – et donc, la valeur – des tableaux de Vermeer acquis avant la guerre. En tout cas, Le Christ et la femme adultère, vendu à Goering, est devenu propriété du gouvernement néerlandais.

Quant à Jésus parmi les docteurs, il a disparu après être passé entre les mains de plusieurs propriétaires.