En votant le 29 novembre 1947 la résolution 181 sur le plan de partage de la Palestine, alors sous mandat britannique, l’ONU provoque un véritable séisme au Proche-Orient. Adopté par 33 voix contre 13 non et 10 abstentions, le plan prévoit la création de deux États. L’un juif, sur 56,6 % du territoire, l’autre palestinien, sur 43 % du territoire – Jérusalem étant placée sous contrôle international.
Problème : les Juifs, d’immigration récente pour beaucoup, ne représentent alors qu’environ 33 % de la population résidente en Palestine. Et le territoire destiné à abriter l’État juif comprend une majorité de 498 000 Juifs et une minorité de 407 000 Palestiniens. La décision de l’ONU suscite donc un gigantesque tollé dans le monde arabe, comme le raconte Le Parisien libéré le 2 décembre 1947 :
« Si les Juifs accueillent le partage avec allégresse, les Arabes se déclarent décidés à s’y opposer par tous les moyens, et l'on attend avec impatience les résultats de la réunion de la Ligue arabe qui doit, croit-on, se tenir dans le courant de la semaine.
Azzam Pacha, qui en est le secrétaire général, a déclaré que les Arabes ‘combattront et feront tout pour la victoire’. A quoi les Juifs ripostent en accélérant la mobilisation de toutes leurs forces. D'heure en heure, la tension semble s'accroître [...].
Cependant, c'est en Terre Sainte même que les troubles sont les plus graves. Des actions de représailles dirigées par les Arabes contre les Juifs ont fait plusieurs morts : voitures, camions, autobus transportant des Juifs ont été attaqués. C'est dans la région de Tel-Aviv et de Jaffa que la situation est la plus trouble et la plus tendue. »
Dans toutes les zones « mixtes », les affrontements entre Juifs et Arabes s’intensifient, en particulier à Jérusalem et à Haïfa. Censées garantir l’ordre, les forces britanniques préparent leur retrait (prévu pour le 15 mai 1948) et demeurent largement passives face à la guerre civile qui s’enclenche.
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La presse française se fait l’écho des combats, des attentats et des représailles qui se succèdent alors. Le 3 janvier, le journal catholique La Croix relate par exemple cet épisode tragique parmi d’autres :
« Le 1er janvier, des membres de la Haganah [NDLR : la principale organisation paramilitaire juive] ont effectué des ‘expéditions punitives’ contre deux villages habités en majorité par des ouvriers arabes de la raffinerie de Haïfa.
Les assaillants ont pénétré dans les villages en couvrant leur avance par un feu nourri d’armes automatiques, et ont lancé des grenades dans les rues principales. »
En réalité, le 30 décembre, des membres de l’Irgoun (groupe paramilitaire issu de la droite sioniste) ont lancé deux grenades dans une foule d’ouvriers arabes, tuant six d’entre eux. La foule en colère, en représailles, tue 39 Juifs.
Le 9 avril, le massacre de Deir Yassin, un village palestinien situé à 5 km à l’ouest de Jérusalem, choque l’opinion internationale. 120 membres de l’Irgoun et du Lehi (un autre groupe paramilitaire sioniste) y tuent entre 77 et 120 personnes, pour la plupart des civils non-combattants. La presse va rapporter le chiffre incorrect de 254 morts, à l’instar de France-Soir qui écrit le 13 avril :
« Le haut comité arabe a dénoncé solennellement aujourd’hui le ‘massacre d'innocents commis par les forces juives de l’Irgoun et du Stern à Deir Yassin’ et attiré l’attention du monde musulman et chrétien sur les circonstances de ce massacre qui a fait 254 victimes [...].
Selon les renseignements donnés par les rescapés, 25 des femmes tuées à Deir Yassin étaient enceintes et 52 enfants abattus avaient moins d’un an. »
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Le massacre de Deir Yassin, lui-même suivi de représailles sanglantes, aura un impact important sur la suite du conflit puisqu’il servira de justification à l’entrée en guerre des pays arabes voisins. Ce sera chose faite dès le lendemain du 14 mai, jour de la naissance de l’État d’Israël.
« C’est la guerre en Palestine », titre le journal communiste Ce soir le 16, tandis que pénètrent dans la zone de conflit les forces armées arabes (environ 14 000 hommes) alignées par la Syrie, l’Irak, la Transjordanie, l’Egypte et le Liban.
La guerre se poursuit pendant toute l’année 1948. La presse française de l’époque la documente et rapporte la débâcle des pays arabes, comme ici en novembre 1948 dans Le Parisien au sujet des succès juifs en Palestine du sud.
Conséquence terrible de la guerre civile, puis de la guerre israélo-arabe : le départ de centaines de milliers de Palestiniens. Entre décembre 1947 et mars 1948, les offensives de la Haganah s’étaient accompagnées d’un exode massif de quelque 100 000 d’entre eux. Puis d’avril à mai 1948, les départs augmentent : 250 000 à 300 000 Arabes palestiniens fuient le nouvel État d’Israël. Les causes de cet exode sont aujourd’hui l’un des points les plus polémiques de l’histoire du conflit israélo-palestinien.
L’historiographie israélienne affirmera longtemps qu’en 1948, les Palestiniens ont fui sur instruction des autorités arabes. L’historiographie palestinienne, de son côté, avec des auteurs comme Walid Khalidi, a toujours dénoncé l’exil des Palestiniens (la « Nakba », la « catastrophe » en arabe) comme le résultat de la stratégie de conquête élaborée par l’état-major de la Haganah.
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Avec l’ouverture des archives israéliennes liées à 1948, les « nouveaux historiens » israéliens (Benny Morris, Avi Shlaïm, Ilan Pappé...) ont abondé dans le sens de la seconde thèse en mettant en évidence la volonté israélienne de neutraliser les villages palestiniens arabes pendant le conflit. Ilan Pappé, auteur en 2006 du livre Le nettoyage ethnique de la Palestine, considère ainsi que le plan Daleth, validé en mars 1948 par David Ben Gourion, fut un plan généralisé et prémédité d’expulsion par la force des Arabes palestiniens.
Rompant avec le narratif israélien « officiel », qui présente l’expulsion des Palestiniens comme le résultat de l’arrivée des troupes arabes des pays frontaliers, ces historiens expliquent donc que l’expulsion (massive dès avant le 15 mai 1948) fut la cause et non la conséquence de l’entrée en guerre de ces pays.
Bien qu’abordée de façon secondaire par rapport au développement du conflit armé, la question des réfugiés palestiniens fit à l’époque l’objet d’un certain nombre d’articles dans les journaux hexagonaux. La situation catastrophique des réfugiés est ainsi dénoncée dans un article de La Croix paru le 6 novembre 1948 :
« Ces réfugiés, au nombre de 600 000, dont 100 000 chrétiens, errent sur les routes, s'entassent dans des camps qui risquent de devenir autant de foyers d’épidémie, créent des problèmes insurmontables pour les États qui les accueillent.
Le Liban en abrite 90 000, la Transjordanie 100 000, la Syrie 140 000, l’Egypte 75 000, l'Irak 15 000 ; le reste est réparti en Judée, en Samarie et en Galilée. Pourquoi cet exode ? Il semble qu’il ait commencé après l'une de ces violences injustifiables qui malheureusement abondent dans ces sortes de guerres inexplicables.
Le village arabe de Deir-Yassin, près de Jérusalem, fut pris par les Juifs au début d’avril. Tous les habitants arabes, femmes enceintes, enfants, vieillards y compris, ont été passés par les armes. Cette tuerie a été la seule de ce genre, mais depuis ce massacre horrible, lorsque les forces israéliennes approchent d’une localité arabe, tout le monde prend la fuite et se répand à travers le pays. La situation de ces réfugiés est affreuse. »
Le drame des réfugiés fait également l’objet d’un témoignage saisissant paru dans Carrefour en novembre, celui d’un ecclésiastique guadeloupéen venu en aide aux populations déplacées.
Dans la presse de l’époque, ces témoignages sont pourtant au second plan par rapport aux reportages de journalistes « embedded » aux côtés de l’armée israélienne. Comme le reporter star Joseph Kessel, qui dans sa série d’articles parus dans France Soir, ne fait guère mystère de sa position sur le conflit, écrivant par exemple en juin 1948 :
« D’une part, il y a des États arabes sans cohésion, poussés par les seules ambitions de leurs maîtres et dont les troupes, ne sachant pas pourquoi elles se battent, se battent mal.
D’autre part, il y a cet extraordinaire peuple juif, sorte de Légion étrangère, qui a retrouvé pour langue commune la plus vieille des langues mortes et qui a pour ce sol et cette langue le respect et l’attachement, l’amour des gens qui voient pousser une maison, grandir un arbre, fleurir un jardin nés de leurs mains.
Les hommes de ce peuple ne luttent pas pour des conquêtes ou des avantages économiques, ou des intrigues politiques. Ils défendent leur vie, toute nue. »
Trois ans après la découverte des camps d’extermination nazis et un an après l’épisode de l’Exodus, la presse comme l’opinion française est alors plutôt favorable à l’établissement d’un État juif en Palestine. De la même manière, dans le journal de gauche Combat, la journaliste sur place Betty Knout prend ouvertement position pour le camp israélien, écrivant en novembre 1948 :
« On a reproché des actes de violence ou des atrocités aux combattants de Deir Yassin. Et c’était vrai.
Mais lorsqu’ils voient les prisonnières juives scrupuleusement violées par les Arabes (beaucoup, connaissant leur sort, se suicident avant) [...], il est difficile pour les fougueux Israéliens de considérer objectivement le problème.
Un fait est certain : si l’armée est agressive, emportée, naïvement téméraire, du moins ne manque-t-elle pas du plus surprenant et admirable courage. »
La guerre se conclut entre février et juillet 1949 avec les différents cessez-le-feu israélo-arabes. Le 13 août, dans Paris-Match, le long reportage de Raymond Cartier en Israël, avec des photos de Robert Capa, ne fait pas une seule fois mention des Palestiniens.
On estime à 500 le nombre de villages abandonnés ou détruits pendant la guerre. Sur la période 1947-1949, environ 750 000 Palestiniens (sur 900 000 vivant sur les territoires sous contrôle israélien) ont été forcés de quitter leurs terres et de se réfugier dans les pays limitrophes.
Le traumatisme de la Nakba est commémoré tous les 15 mai par les réfugiés palestiniens et leurs descendants, qui vivent aujourd’hui au Liban, en Jordanie, en Syrie ou dans d’autres parties de la Palestine. Leur droit au retour (reconnu par les Nations Unies depuis 1974) est leur revendication fondamentale.
Pour en savoir plus
Sandrine Mansour-Mérien, L'Histoire occultée des Palestiniens (1947-1953), Pivat, 2013
Ilan Pappé, Le Nettoyage ethnique de la Palestine, La Fabrique, 2024 (édition originale 2006)
Eugène L. Rogan et Avi Shlaim, La Guerre de Palestine 1948 : Derrière le mythe, Autrement, 2002
Ecrit par
Pierre Ancery est journaliste. Il a signé des articles dans GQ, Slate, Neon, et écrit aujourd'hui pour Télérama et Je Bouquine.