Extrait du journal

Lui qu'on accusait d'avoir une humeur si inquiète et-si turbulente, quelle discrétion, quelle prudence il a montrées depuis qu'il est entré dans le ministère Aberdeen comme secrétaire d'Etat de l'intérieur ! Malgré les tentations que lui offrait chaque jour de ces deux années si pleines d'événemens, comme il a su veiller sur lui-même pour avoir l!air de ne s'oc cuper jamais que des affaires de son département, pour ne parler jamais de la politique générale, des affaires étrangères et de la guerre surtout, que lorsqu'il y était convié par ses collègues ! Combien cette réserve lui a-t-elle profité ? N'est-on pas parvenu, sans qu'il parût y songer lui-même, à accréditer dans le public que cette retenue sr scrupuleuse impliquait une censure de"ses collègues, et que si on lui eû.t laissé la conduite de la guerre, il l'eût menée avec une vigueur que l'on ne pouvait attendre d'aucun autre? Plus il s'enfermait stricte ment dans les attributions de son ministère, plus cette opinion se répandait on ne sait par qui ni par quels moyens, mais si bien que le jour où lord "John Russell a été obligé de donner les motifs de son inconcevable retraite, il n'en a pas trouvé de meilleur que la non-élévation de lord Palmerston au ministère de la guerre, offrant ainsi à son noble ami l'occasion d'une revanche attendue longtemps et le texte d'une leçon de iqocalité politique qui, en consommant la chute de lord John Russell, a porté lord Palmerston lui-même au pouvoir. Aussi sem ble-t-il qu'il n'y ait pas eu d'objections sérieuses lorsqu'il s'est agi de faire de lord Palmerston un premier ministre. Ses collègues du dernier cabinet n'avaient aucune bonne raison à faire valoir pour refuser de rentrer avec lui, et, moyennant le sacri fice de lord xVberdeen et du duc de Newcastle, l'an cien ministère a pu se reconstituer presque comme il était auparavant. C'est donc à "une modification dans le personnel du cabinet que cette crise aura abouti. Si le ré sultat ne devait tourner que contre lord John Russell qui s'est perdu lui-même et qui a mérité son sort, nous ne le regretterions pas, mais nous ne pouvons nous défendre d'une sympathie sérieuse pour lord Aberdeen et pour le duc de Newcastle livrés en expiation au malheur public, comme les victimes choisies que les anciens dévouaient aux dieux infernaux pour conjurer leur redoutable puissance. Ce qui est plus triste encor# que cette injustice d'un jour sur laquelle il nous semble que l'opinion commence'déjà à revenir, c'est que la véritable cause de cette crise, c'est l'état déplorable dans lequel se trouve l'année anglaise de Crimée. Pour la France engagée avec l'Angleterre dans une grande lutte, ce doit être un sujet de réflexion pénible, mais non pas do découragement. Au lieu de se laisser abattre par une calamité passagère, nos alliés nous montrent qu'ils sont déterminés à pousser la guerre avec plus de vigueur que jamais, et ce n'est pas chez eux la détermination d'un moment, le résultat frivole ou aveugle de la sur excitation " populaire. Il y a au contraire une preuve de virilité et d'énergie remarquable dans cette volonté d'une grande nation qui exige qu'on lui dise la vérité, qui se la dit à elle-même plus rigoureusement que personne ne le saurait faire, et qui, animée d'une foi vivace dans l'excel lence de ses institutions, assiste sans trouble et sans désordre à des discussions comme celtes qui ont retenti dans la presse ou dans le Parlement, et, au, milieu des circonstances les plus émouvantes, sait attendre avec patience les moyens de salut que la liberté doit lui produire. lAYIEH iuimond....