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Le Petit Marseillais, 6 avril 1895

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Le Petit Marseillais
6 avril 1895


Extrait du journal

Voici un thème qui prête aux discus sions des amateurs de problèmes moraux, qui sont bien aussi intéres sants, on en conviendra que les logoçriphes et les mots carrés dont la solu tion est proposée à la sagacité des « Œdipes » et des « Sphinx » de cafés. C’est un professeur d’anthropologie n l’Université de Rome, M. Enrico "Ferri, qui le soulève. Il s agit du « droit de mourir ». M. Ferri a les idées les plus larges, et on peut l’ajouter,les plus audacieuses sur cette question. Ce n’est pas,en effet, du suicide ordinaire qu’il parle. Sur ce point, notre opinion est faite, et nous admettons difficilement, aujourd’hui, que le suicide soit toujours une « lâ cheté ». D’abord,physiquement môme, l’homme qui tient â portée de sa tempe le canon d’un revolver et dont la main ne tremble pas, en pressant la gâ chette,n’est pas un « lâche », quels que soient les maux menaçants auxquels il veuille se soustraire par la mort. Puis, si malgré cette dépense de cou rage matériel, le suicide est parfois un acte de faiblesse, par l’impossibilité qu’il atteste de supporter certaines épreuves, il y a des cas où il est, au contraire, plein de grandeur. Cette question si complexe, où rien n’est absolu, ce n’est pas en quelques lignes qu’on pourrait la traiter. L’étude qu’aborde M. Ferri est plus spéciale. Il sou tient,secouant la «vieille morale conventionnelle », que le fait d’aider à mourir un homme qui veut quitter la vie et Faire,comme un valet, venir ce noir demain. n’est pas un crime , si aucun motif d’intérêt ou de vengeance ne s’est mêlé à l’aide prêtée, s’il n’y a eu qu’assis ta nce donnée par amitié, par complai sance,— si on peut, sans ridicule, employer ce mot dans de pareilles cir constances, — si le désir de l’homme qui se condamnait était exaucé comme une prière. On n’avait jamais rien énoncé d’aussi tranchant, en un sujet aussi délicat. Je me demande si M. Enrico Ferri lui-même, en dépit de la netteté de ses affirmations théoriques, ne serait pas furieusement embarrassé s’il s’agissait, pour lui, de sortir du domaine de la spéculation philosophi que, et si un de ses amis s’adressait à lui, après lui avoir fait part de sa volonté de partir pour le monde invi sible, pour lui rendre le menu service de trancher le fil de ses jours, soit qu’il fût infirme, paralysé , par exemple, soit qu’il hésitât, malgré son appétit du trépas, à se charger lui-même de la petite opération qui y conduit. Car M. Ferri a prévu même le cas où la force psychique fait défaut au suicidé... par intention. Je suppose que le professeur d’an thropologie trouverait ou chercherait un moyen ingénieux d’esquiver la corvée, — et, entre nous, on peut pen ser qu’il ferait bien. J’imagine que, au lieu de s’empresser de répondre par un acte décisif au vœu de son ami, il se sentirait soudain en verve pour lui adresser un petit discours sur la nécessité de supporter la vie, et qu’il finirait par prétexter d’occupations urgentes l’empêchant de remplir ce « devoir ». J’estime, pour moi, qu’il ne faut pas être plus royaliste que le roi et que le mieux est de laisser les gens qui se veulent tuer se tuer tout seuls, quelques bonnes raisons qu’ils puissent donner pour réclamer une aide. Ce n’est peut-être pas là un parti très « philosophique », mais il est plus prudent, au regard de la conscience. Je sais bien que les romanciers ont souvent tiré de dramatiques effets de celle situation, comme M. François Coppée^récemment encore, dans l’nistoire qu’il contait d’un vieux sergent consentant à tuer de sa main un ami acculé à la nécessité de la mort...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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