Écho de presse

1931 : la fin des bandits corses ?

le 09/11/2021 par Michèle Pedinielli
le 14/11/2019 par Michèle Pedinielli - modifié le 09/11/2021
La journaliste Christine Hubert et le célèbre bandit André Spada dans le « maquis » corse, Paris-Soir, 1933 - source : RetroNews-BnF
La journaliste Christine Hubert et le célèbre bandit André Spada dans le « maquis » corse, Paris-Soir, 1933 - source : RetroNews-BnF

En novembre 1931, le gouvernement français lance un vaste coup de filet sur l’Île de beauté : des centaines de gardes mobiles y sont dépêchés. En ligne de mire, ceux que l’on appelle depuis Paris les « bandits corses ».

Au début du XXe siècle, la figure du « bandit corse » s’impose sur le continent. Quand il n’est pas romancé comme un brigand à l’honneur chatouilleux dans la littérature, il est, comme le célèbre Bellacoscia, interviewé par des journaux nationaux en quête de sensations.

« Les bandits corses passent, en effet, mais à tort, pour des gentilshommes.

Toute une littérature facile nous a chanté leurs louanges, leurs qualités, leur adresse, leur chevalerie, leur mépris du danger. Nous les voyons tels que ces magnifiques pirates barbaresques dont Callot burinait de si belles silhouettes. Drapés dans leur pelone comme dans une pourpre de légende, ils apparaissent encore comme les derniers chevaliers romantiques d'un monde moderne où le sentiment n'a plus de place.

En les évoquant, de vieux souvenirs se lèvent dans nos mémoires. Maupassant chanta le bandit Santa Luccia, qui s'évada du bagne pour revenir crever, à coups de stylet, les yeux d'un faux témoin ; Mérimée immortalisa Colomba d'lstria, native d’Olmeto… »

Exposition à la BnF

L'Invention du surréalisme : des Champs Magnétiques à Nadja.

2020 marque le centenaire de la publication du recueill Les Champs magnétiques – « première œuvre purement surréaliste », dira plus tard André Breton. La BnF et la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet associent la richesse de leurs collections pour présenter la première grande exposition consacrée au surréalisme littéraire.

 

Découvrir l'exposition

Mais le ministère de l’Intérieur de Pierre Laval ne l’entend plus de cette oreille et le 8 novembre 1931, une vaste opération est déclenchée sur l’île dans le but d’arrêter les hors-la-loi réfugiés dans « le maquis ». Près de 600 gardes mobiles sont ainsi réquisitionnés de toute la France et embarquent dans la plus grande discrétion à Marseille.

« Dans les ports de Marseille, pendant toute la nuit de vendredi à samedi, le môle E Nord a été animé d’une activité qui rappelait le temps déjà lointain de la guerre.

Des gardes mobiles équipés de pied en cap arrivaient de tous côtés, en camion ou pédestrement. Des camions automobiles, un tank, des automitrailleuses étaient chargés à bord de l’El Djem de la Société Maritime Nationale. Des caisses anonymes, mais que nous savions contenir des munitions en quantité très respectables, et tout un matériel complet de campement pour un nombre assez élevé d’hommes, rejoignaient à bord les grosses pièces que les grues mécaniques enlevaient au bout de leurs fortes chaînes.

Des chiens policiers, en longue file, montaient l’échelle de coupée, tenus à la laisse par les militaires. »

L’annonce de ce corps expéditionnaire dont la mission gardée secrète jusqu’au dernier moment est tout simplement d’éradiquer le banditisme en Corse réjouit plusieurs journaux. Le Petit Parisien n’hésite pas à comparer les malfrats à des « chiens enragés » et fustige tous ceux qui les protègent – ou simplement, les encensent.

« J’ai fait un rêve étrange la nuit passée... J'ai rêvé que je parcourais un pays extrêmement pittoresque, mais aussi extrêmement dangereux...

Ce pays, en effet, était infesté de chiens enragés qui couraient en liberté, la bave aux dents, à travers les villes et les campagnes... Les chiens enragés faisaient, comme on le conçoit, d'innombrables victimes... Cependant, il était interdit de les abattre...

Cependant, de très braves gens se croyaient obligés de nourrir ces bêtes meurtrières et de les nourrir grassement... Cependant, des gens intelligents disaient, en tremblant de peur : – Oh ! Les chiens enragés doivent vivre ! – Celui qui oserait tuer un chien enragé serait voué à un sort fatal...

Enfin, des gens cultivés, aimables, optimistes, s'écriaient : Il ne manquerait plus que ça qu'on touche à nos chiens enragés... Nos chiens enragés sont d'un pittoresque formidable. Nos chiens enragés sont magnifiques... Et ils sont littéraires !... Et ils sont artistiques... Car nos chiens enragés ne sont pas des chiens enragés ordinaires... Ils sont exceptionnels ! Ils sont étonnants !... Et, s'ils sont enragés, ils ont tout de même une Intelligence, un chic, un courage extraordinaires… »

La plupart des bandits vivent dans le sud de l’île. Ils sont connus, tout comme le sont leurs villages d’origine. Quatre hors-la-loi sont ainsi particulièrement visés par le plan d’attaque du préfet.

« Les opérations sont dirigées actuellement vers quatre centres : le canton de Zicavo, celui de Sari-D'Orcino, où Spada a établi son quartier général ; le canton de Vico, résidence de Torre et de Caviglioli neveu, et les environs de Guitera, secteur de Bornéa, ancien gendarme.

Ceux-là sont les plus dangereux ; lorsqu'ils seront tombés en notre pouvoir, les autres se soumettront certainement, Les opérations dureront le temps qu'il faudra.

Si l'on examine la carte de la Corse, on constate que les régions où règne le banditisme sont bornées au Nord par une ligne allant approximativement de Piara, à l'est d’Ajaccio, à Porto-Vecchio. »

Le coup de filet est réussi. Dès la première journée, plus d’une cinquantaine d’hommes, parmi lesquels Pierre Pantalacci, maire de Cozzano et Severin Santoni, conseiller d’arrondissement, sont arrêtés dans les villages visés. La presse relève qu’il n’y a eu ni mort ni blessés au cours  de l’opération. Elle révèle également le contenu du l’armement saisi.

« Outre les arrestations faites, on a saisi le contenu .de véritables arsenaux.

À Bergerie de la Puna, près de Calcatggio, dans le fief de Spada, la gendarmerie s'est emparée de 30 fusils dont 20 mausers, de nombreux parabellum et des munitions en quantités impressionnantes.

À Palneca, c'est près de 800 cartouches de parabellum et un millier de balles lebel et mauser qu'on mit définitivement hors de l'atteinte des lieutenants de Bartoli. »

Les principales cibles sont arrêtées mais il manque encore Baptiste Torre, Sante Caviglioli ou André Spada, recherché pour plusieurs meurtres et braquage, dont la femme Antoinette Leca a été arrêtée. L’opération policière se poursuit pendant plusieurs jours.

« S’il ne faut pas s'imaginer que chaque jour les colonnes en armes progressent par bonds vers l'intérieur de la Corse en occupant militairement les villages rencontrés, il ne faut pas croire non plus que maintenant va s'arrêter le travail d’épuration.

Seulement, il sera surtout conduit par la police plus que la garde mobile. Les enquêteurs ne désespèrent pas d'arriver rapidement à repérer les refuges de Spada et surtout des deux jeunes Caviglioli et il est bien possible que, dans deux ou trois jours, les effectifs policiers ayant été renforcés, un raid nocturne soit entrepris sur un point précis du maquis déjà surveillé. »

À Paris, sur les bancs de l’Assemblée, seuls les députés communistes s’insurgent contre un usage disproportionné de la force, ainsi que d’arrestations qu’ils jugent arbitraires. André Berthon dépose ainsi une demande d'interpellation « sur le scandale des opérations policières de Corse ; l'usage excessif et injustifié de la force armée ; les arrestations nombreuses et illégales opérées par là police ».

Pendant cette session parlementaire, dont Le Petit Parisien précise qu’elle fut « tout de suite mise en gaîté », le député corse Rocca-Serra déclare « qu'il ne faudrait pas renouveler les expéditions punitives dont les Corses ont souffert sous la domination génoise ». Le bientôt tristement célèbre Jacques Doriot, alors sous l’étiquette du PCF, l’interrompt alors, provoquant l’hilarité de ses pairs : « De quel bandit êtes-vous l'ami ? On dit qu'en Corse chaque homme politique est l'ami d'un bandit ». C’est le futur chef du gouvernement des années Vichy Pierre Laval qui répond sur le fond.

« Il y a eu dans cet arrondissement 50 crimes depuis deux ans et 6 gendarmes sont tombés sous les balles.

La civilisation doit régner en Corse comme dans tous les autres départements français. Il y a des détenus à la prison d'Ajaccio sous l'inculpation d'association ou de recel de malfaiteurs.

La justice est saisie et la tradition parlementaire veut que le gouvernement n'apporte ici aucune explication tant que l'action judiciaire est engagée. »

Le gouvernement peut se féliciter cette année-là d’avoir mis un terme aux activités des bandits corses les plus réputés. André Spada, toujours libre mais devenu fou, se laissera arrêter en 1933 – et sera exécuté deux ans plus tard.

Toutefois, si cette « épuration » débarrassera le sud de l’île des hors-la loi isolés dans les montagnes, elle ouvrira alors la voie à un grand banditisme mieux structuré et plus rentable – tout comme plus violent.

Pour en savoir plus :

Paul Silvani, Bandits corses : Du mythe à la réalité, Albiana, 2011

Caroline Parsi, Vendetta : Bandits et crimes d'honneur en Corse au XIXe siècle, Vendémiaire, 2015