Écho de presse

La duchesse d'Uzès, une vie à toute allure

le 18/08/2018 par Marina Bellot
le 20/07/2018 par Marina Bellot - modifié le 18/08/2018
La duchesse d'Uzès, tableau de J.-L. Gerome, illustration parue dans Les Modes le 1er février 1902 - source : RetroNews-BnF

Militante féministe, pionnière de l’automobilisme féminin, écrivaine et sculptrice, la duchesse d’Uzès a défrayé la chronique pendant trois quarts de siècle. 

Arrière-petite-fille de la veuve Cliquot, fille du comte Mortemard Rochechouart et de la comtesse née de Chevigné, la duchesse d’Uzès fut l'une des figures-phares de la noblesse française et un personnage hors du commun qui fascina la presse. 

Veuve dès 1878 du XIIe Duc d’Uzès, Jacques Emmanuel de Crussol, la duchesse a tôt la charge de l'éducation de ses quatre enfants, ce qui ne l’empêche pas de se distinguer dans des domaines divers. 

L'histoire la retient en particulier comme l'une des pionnières de l'automobilisme féminin, avec Camille du Gast.

En mai 1898, la presse française à l'unisson annonce que la duchesse a passé le certificat de capacité féminin, ancêtre du permis de conduire. 

Et la duchesse de confier

« “Je m'étonne de voir, dit-elle fort obligeamment, tout le bruit qu'on a fait autour de cette chose pourtant si simple en soi. [...]

Les impressions que j'ai ressenties, me demandez-vous ; elles ont été délicieuses. C'était d'abord d'aller à l'allure qui me plaisait, de dépasser vite, vite, les autres voitures, assez adroitement pour ne pas les accrocher [...]. »

Éprise de vitesse, la duchesse d’Uzès est aussi la première femme à être verbalisée pour excès de vitesse en juillet 1898 – moins de trois mois après l’obtention de son permis de conduire – ce que la presse ne manque pas de relater, tel Le Figaro sur son habituel ton mordant de l’époque :  : 

« Le Tribunal de simple police n'aura pas, après-demain jeudi, son habituelle clientèle. Sur ses bancs d'élégantes toilettes prendront place [...] car la cause appelée sera, celle de la duchesse d’Uzès et de son fils le duc d'Uzès, victimes tous deux de la fâcheuse contravention qui guette les conducteurs d'automobile. 

Les deux prévenus sont, en effet, accusés d'avoir le 9 juin dernier, à dix heures quinze du matin — l'agent qui a verbalisé a oublié les secondes, — circulé en automobile, à une vitesse exagérée, avenue du Bois-de-Boulogne, du n° 25 au n° 37— voilà de la précision, ou je ne m'y connais pas — au risque d'occasionner un accident. 

Et Mme la duchesse d'Uzès et M. le duc d'Uzès, son fils, seront bel et bien condamnés à 28 francs d'amende, parce que l'agent verbalisateur est un agent assermenté et que ce qu'il dit doit être parole d'Evangile. »

Singulier mélange de tradition et de modernité, cette grande passionnée de chasse à courre mène une vie à cent à l’heure.  

Orléaniste – elle finança les activités politiques du général Boulanger, en espérant qu'il aiderait Philippe d'Orléans à rétablir la monarchie – elle n’en entretient pas moins une relation amicale avec Louise Michel au retour de déportation de la militante anarchiste. 

Leur rencontre au chevet d’une malade fait grand bruit à Paris, comme le raconte Le Matin

« Voici l'anecdote bien parisienne [...] qu'on se raconte tout haut dans plus d'un salon depuis une semaine environ :

Une très grande dame, pourquoi ne pas la nommer ? Mme la duchesse d'Uzès, vient un jour prendre place au chevet d'une pauvre malade condamnée par les médecins, que ses limiers de bonnes œuvres lui avaient signalée. 

À peine venait-elle de se pencher sur le grabat de la malade que la porte de la chambre s'ouvre et laisse passage à une grande femme sèche, aux traits irréguliers, pauvrement vêtue, qui, sans remarquer d'abord la présence de la duchesse, prend la main de la patiente, écoute ses plaintes avec intérêt et lui adresse des paroles de douce commisération. [...]

Au cours de l'entretien, elles se nomment l'une à l'autre, et la duchesse d'Uzès apprend que son interlocutrice n'est autre que Mlle Louise Michel. »
 

Toute sa vie, la duchesse d’Uzès participa avec ardeur au mouvement d'émancipation féministe, en prenant la tête de multiples oeuvres et organisations dont l'objet était d'améliorer la situation sociale de la femme. 

Passionnée d'art, écrivaine, poétesse et sculptrice, la duchesse d’Uzès est une célébrité de la Belle-Époque. 

Au début du XXe siècle, Les Modes dresse le portrait de « la plus grande dame de France », tout à la fois veuve admirable et mère dévouée, chasseresse et « sports woman », femme politique et patriote, écrivaine et sculptrice.  

« Marie-Adrienne-Anne de Rochechouart-Mortemart, duchesse d'Uzès, est la plus grande dame de France. Grande dame d'un autre temps, égarée en celui-ci par une erreur de date, et qui porte en elle l'effigie de ce XVIIe siècle où les héroïnes étaient des femmes délicieusement cultivées. [...] 

Epouse irréprochable, veuve admirable, dont la jeunesse appartint tout entière à l'éducation de ses enfants, c'est seulement aux heures de la maturité précoce que la duchesse d'Uzès, ayant accompli tous ses devoirs de femme et de mère, montra qu'il y avait en elle autre chose qu'une mondaine charmante et respectée.

Douée comme on l'est rarement, chacun de ses dons tour à tour prit son essor, et elle y dépensa l'ardeur qui était en elle.

Elle ne pouvait être une guerrière, elle fut une chasseresse, et c'est sous cette incarnation surtout qu'elle devint populaire. Quoique de taille peu élevée, le cheval semble son naturel piédestal. Elle en porte l'habit avec une si crâne désinvolture qu'il est devenu pour elle ce que l'uniforme est à l'officier.

Mais, la duchesse d'Uzès n'est pas seulement une chasseresse et une sports woman. Elle s'est montrée sous bien d'autres aspects : femme politique, Française et patriote par-dessus tout, consacrant à cet amour du pays son extraordinaire fortune ; soeur de charité chaque matin et donnant la main à Louise Michel, sa rivale de miséricorde auprès des miséreux, pour traiter, le soir, les Altesses qui, à Paris ou à Bonnelles, viennent savourer l'hospitalité française ; puis encore, et dorénavant avant tout, artiste ! »

Pendant la Première Guerre mondiale, la duchesse d'Uzès s'illustre en présidant plusieurs associations, notamment l'association des formations chirurgicales Franco-Russes, destinées à opérer les blessés au plus près du champ de bataille. 

« Chaque formation comprend tous les éléments essentiels d'un service de chirurgie : un laboratoire de stérilisation avec chaudières à vapeur, autoclaves, eau stérilisée, radiateurs, groupe électrogène, un laboratoire de radiologie et une salle d'opération démontable. »

À sa mort en 1933, à 85 ans, l'hommage est unanime

Ses Souvenirs retracent l'époque qu'elle traversa à travers de nombreuses anecdotes personnelles – au risque de décevoir les historiens en quête d'un éclairage plus politique.