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Les petits Parisiens sur les barricades : les Pupilles de la Commune

le par - modifié le 20/09/2022
le par - modifié le 20/09/2022

Dans le sillage de la mobilisation pendant le Siège, un certain nombre de gamins de Paris rallient les troupes de la Commune à compter de mars 1871. Emprisonnés et jugés à Versailles, la presse fait ses choux gras de ces « vauriens » révolutionnaires, membres de « l’armée de Montmartre ».

Les brasiers illuminaient encore Paris lorsque les longues colonnes des communards vaincus quittèrent la capitale entre deux rangs de soldats « Versaillais ». Prosper-Olivier Lissagaray, journaliste, historien et membre de la Commune, a dépeint ces tristes processions dans Les Huit journées de mai derrière les barricades :

« Les soldats qui, au 18 mars, s'étaient rangés du côté du peuple, marchaient les mains liées, la capote retournée. […]

La plupart appartenaient à la classe ouvrière et aux rudes métiers de la carrière, de forgeron, de mécanicien, de fondeur, de maçon ou de charpentier ; d'autres aux professions essentiellement parisiennes de peintre, imprimeur, etc.

Les gamins, presque des enfants, de douze à seize ans, marchaient au milieu d'hommes à tête et à barbe blanches qui étaient en grand nombre. »

Car des enfants, aussi, ont fait le coup de feu sur les barricades. Certains ont été abattus sur place, fusillés contre un mur, comme les autres. Dans un célèbre poème de L’année terrible, Victor Hugo a immortalisé le récit de l’exécution d’un petit insurgé.

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À l’automne 1871, dans le sillage des procès des « communeux », s’ouvraient à Versailles des audiences inhabituelles où les prévenus étaient des enfants, déférés devant une cour militaire. Ces petits communards sont jugés à part, en groupe. Ils sont convaincus d’appartenir à une bande, ou plutôt à un corps franc : « les Pupilles de la Commune ».

Pourtant, un an plus tôt, à l’automne 1870, tandis que les Prussiens encerclaient Paris, cette même République saluait avec émotion la levée en armes des enfants de Paris.

Tandis que l’empire tombait et que s’élevait le retour à une République, durant cette période de vacance de la normativité mêlée aux émotions obsidionales de Paris assiégé, de cet entre-deux ont émergé toutes sortes de cohortes guerrières, des corps francs par dizaines, dont un féminin, les Amazones de la Seine. Il y a aussi la légion des Pupilles de la République, qui veut enrôler dans la tourmente de très jeunes garçons, dès 15 ans, « sous réserve du consentement de leurs parents ».

Le succès est immédiat. En novembre 1870, ils sont déjà 1 500 ; ils campent au théâtre Dejazet. Le Petit journal l’assure, la plupart sont orphelins. À quoi sont employés ces enfants ? Au terrassement à monter des barricades, dans les ambulances, comme estafettes ou auprès des pompiers. Et au milieu, deux cantinières de quinze ans.

Si les petits volontaires de cette « mignonne légion », selon les mots du Petit Moniteur Universel, ne sont pas des soldats, les représentations de propagande comme la presse les griment en nouvelle croisade des enfants, sous des étendards évocateurs du sacrifice. Ils s’inscrivent également dans un autre rite, celui du défilé civique au milieu du carnaval de la guerre à Paris.

On leur prête, bien sûr, tous les travers comme les qualités de leurs aînés qui veillent devant Paris. Ces petits soldats ne sont qu’une mise en scène de la guerre des adultes, une pantomime où ils jouent, malgré eux mais bien volontiers, le rôle de mascottes. Dans la presse, à longueur de page, ils incarnent la détermination de Paris.

Mais ces auxiliaires semblent décidés à ne pas jouer les simples figurants. On les retrouve bientôt en première ligne. L’un de ces « gavroches » rapporte à Trochu, gouverneur de Paris, les effets d’un soldat prussien tandis que le bataillon des Pupilles ramène de Bondy vers Paris des légumes qu’ils ont su marauder à la barbe des Teutons : Le Constitutionnel les couvre d’éloges.

Tout le monde ne partage pas cet enthousiasme pour les pupilles de la République. Le Journal des débats politiques et littéraires parle « d’embrigadement » et rappelle que la place de ces enfants est à l’école.

Dans les colonnes du Rappel, Henri Rochefort, membre du gouvernement provisoire, salue pourtant le renfort offert par ces « braves gamins » :

« Nous avouons que nous nous sentons pleins d'indulgence pour la ‘petite insubordination’ de ces braves gamins qui demandent du travail et du péril.

S'ils demandent en même temps une solde, nous trouvons plus que légitime qu'on veuille vivre – quand on veut bien mourir. »

Alors que les revers s’accumulent aux portes de Paris, Le Progrès de la Somme renchérit de plus belle :

« Et les enfants ? Les enfants? Ils sont quatre mille, des petits, des faibles, des enfants de quinze ans, quatre mille pupilles de la République képi bleu, pantalon bleu, blouse grise et ceinture rouge, qui veulent marcher, eux aussi, vers l’ennemi. Leurs armes, c’est leur agilité, et leur intrépidité d'adolescents.

Brûler les meules, piller les convois, relever les morts, déterrer, emporter, rapporter les pommes de terre, nourrir ceux qui tombent, faire aussi (qui-sait ?) comme Barra et comme Viala, voilà leur rôle ! »

Le Rappel croit savoir qu’ils ont reçu des fusils « d'une grandeur proportionnée à leur taille ». En réalité, les Pupilles de la République ne sont pas armés, une déception qui se change bientôt en reproches amers contre un gouvernement qui les juge, quant à lui, trop proches des radicaux parisiens.

Cette ambivalence sera également celle de la Commune qui perpétue ce corps juvénile dans les Pupilles de la Commune, chargés des mêmes missions auxiliaires. Mais on retrouve en réalité des adolescents et des enfants parisiens parmi d’autres formations communardes. Souvent, ils sont confondus avec d’autres, à tort mais sciemment, avec des corps francs aux réputations sinistres tels que les « Enfants perdus de la Commune », que l’on accuse de tous les maux et de recruter parmi la pègre de Paris.

Dès lors, le regard ému et fier de la presse nationale se renverse. Les petits héros deviennent des petits monstres, un exemple de la prétendue corruption opérée par la Commune sur la société tout entière. Pour le Figaro, ce sont les petits loqueteux de « l’armée de Montmartre ».

Pour la presse nationale, ils personnifient les interdits brisés par la Commune, comme le relate Le Journal des villes et des campagnes :

« Les femmes et les enfants ont joué à la fin de l’insurrection un rôle actif. La femme, quand elle a oublié son rôle, sa place et ses devoirs, est plus forcenée et plus enragée que l’homme.

Quant à l'enfant, abandonné, indompté, livré à lui-même et aux plus mauvais exemples, il devient aussi féroce que l’animal sauvage. Son âge ne connaît guère la pitié. Hier, une bande d’enfants, enrôlés, dans les derniers jours de la Commune, sous le nom de Pupilles de la Commune et faits prisonniers aux barricades, ont été interrogés et jugés. Triste et navrant spectacle que celui de ces enfants, dont l’aîné a seize ans et le plus jeune à peine onze !

Il n’y a pas de révolution en France où l’on n’en voie quelques-uns. On leur fait honneur d’avoir planté un drapeau sur les barricades, d’avoir tué à bout portant un sergent de ville ou un gendarme. Quelle triste gloire ! »

Indiscutablement, contre les assauts des troupes républicaines qui rentrent dans Paris et renversent les barricades, les gamins se mêlent aux combattants juchés sur les tas de pavés. Dans son œuvre cardinale, Histoire de la Commune, Lissagaray salue ces petits combattants qui ont défendu, pied à pied, la place du Château d'Eau, aujourd’hui place de la République :

« Maison par maison, ils arrachent la rue Magnan aux pupilles de la Commune. Brunel, ayant fait face à l'ennemi pendant quatre jours, tombe, la cuisse traversée. Les pupilles l’emportent sur un brancard, à travers la place du Château d'Eau.

De la rue Magnan, les Versaillais sont vite dans la caserne. Les fédérés, trop peu nombreux pour défendre ce vaste monument, doivent l'évacuer. La chute de cette position découvre la rue Turbigo. Les Versaillais peuvent dès lors se répandre dans tout le haut du IIIe et cerner le Conservatoire des Arts-et-Métiers.

Après une assez longue lutte, les fédérés abandonnent la barricade du Conservatoire, laissant une mitrailleuse chargée. Une femme aussi reste, et quand les soldats sont à portée, décharge la mitraille. »

Le 23 septembre 1871 s’ouvre à Versailles devant le 4e Conseil de guerre de ceux qui ont été pris lors des combats autour de la place du Château d'Eau, c’est le procès dit des « Pupilles de la Commune ».

Ils sont seize ; le plus vieux à 16 ans. Le plus jeune, dix ans et neuf mois.

Ces petits prévenus ne font plus peur. La vengeance est déjà tombée, sur leurs camarades morts sur les barricades et sur les plus âgés, proscrits ou embastillés. Misérables, intimidés, impressionnés, ils incarnent désormais un autre rôle dans le théâtre politique des adultes, celui de la naïveté et de l’innocence corrompue.

Rondement mené, le procès des pupilles de la Commune se doit moins de punir que d’afficher la clémence de la justice de Versailles envers les dévoyés et de flétrir la perversité de la Commune abattue.

Ainsi, pour Le Siècle, les petits enragés d’hier sont devenus de « petits malheureux » :

« Ces petits malheureux ont été incorporés dans le bataillon des pupilles da la Commune et faits prisonniers dans les journées de mai. Quelques-uns sont encore revêtus d’un pantalon gris à bandes rouges et du képi dont les avait affublés le comité de salut public. […]

La physionomie de presque tous ces petits est très vive, intelligente. Ils écoutent avec la plus grande attention la pelure du rapport, dont ils ne perdent pas un seul mot. Leur figure exprime plutôt l'étonnement que la crainte.

Presque tous ces enfants ignorent leur âge, leur lieu de naissance. On remarque dans l’auditoire un grand nombre de parents des jeunes démentis qui viennent les réclamer. »

Le procès passionne. Signe manifeste de son exploitation officielle, Le Moniteur Universel lui consacre deux pages.

Suivant les titres, les correspondants varient, insistant parfois sur le fait que ces jeunes soldats – ces « lilliputiens » selon Le Soir – se sont enrôlés volontairement. A l’inverse, d’autres reportent la pleine responsabilité sur la Commune :

« On avait, en effet, eu l’horrible idée de former un corps de jeunes gens, d’enfants, qu’on osa envoyer aux barricades, pour les construire d’abord, puis pour les défendre.

Chacun d’eux avait reçu un de ces lourds fusils à tabatière qu’il pouvait à peine porter ; on leur donnait 15 sous par jour et ils devaient se battre. S’ils refusaient, s’ils essayaient de quitter les barricades, on les y ramenait à coups de crosse. »

Pour le journal Le Français, le procès des Pupilles est aussi celui du « gamin de Paris », une engeance singulière de garnement :

« Le gamin de Paris, chacun le sait, a pris un rôle dans toutes nos crises révolutionnaires.

Chez lui, le discernement est plus précoce que chez l'enfant de la province et surtout celui de la campagne. Il possède, à défaut d'instruction, une variété spéciale d'intelligence qui malheureusement se développe en dehors de la morale, en dehors de la famille.

Faut-il s'étonner ensuite de voir cet enfant, entièrement livré à lui-même, suivre une mauvaise voie et dépasser souvent en ardeur dans la lutte ou en férocité les plus grands criminels ? »

Mais il n’échappe à personne que les seize petits prévenus n’en mènent pas large et leurs déclarations devant le tribunal entrouvrent un rideau pathétique sur une vie de misère, de taudis et de violence.

Leurs parents sont parfois dans la salle. Si plusieurs mères implorent les magistrats, si des petits patrons témoignent en faveur de leur apprenti, d’autres réclament qu’on les enferme définitivement. Une belle-mère supplie ainsi la cour de la débarrasser de ce « mauvais sujet ». 

« Il est intelligent ? » demande le juge à propos d’un autre. « Il est de trop », répond un père.

Leur défenseur, un militaire, réclame que l’on « maudisse les parents de ces infortunés qui les ont abandonnés, et sont par conséquent la première cause du crime ». Le procureur demande à ce qu’ils soient rendus à leur famille.

Pour le Courrier de Saône-et-Loire, tout est bien qui finit bien :

« Le conseil a pensé que quatre mois de détention préventive était une punition suffisante, et il a acquitté les seize accusés qui ont tous déclaré que la misère et la faim les avaient poussés dans cette terrible aventure.

Espérons que cette leçon leur profitera et que ces petits communards inconscients deviendront de bons ouvriers. »

Mais tous ne seront pas réclamés. Dix seront dirigés vers une maison de correction, jusqu’à leur vingtième année.

D’autres gosses de Paris seront jugés durant les mois qui suivront, et astreints au même verdict. Implicitement, silencieusement, la transgression des petits soldats de la République sera rectifiée par le verdict moral énoncé contre ceux de la Commune.

Les Pupilles de Paris seront toutefois vite oubliés, rangés parmi les « vauriens » ; on les verra bientôt remplacés par les Apaches des fortifs’ dans les feuilles judiciaires.

Édouard Sill est historien. Il est chercheur associé au Centre d’Histoire Sociale des Mondes Contemporains.

Notre sélection de livres

Histoire de la commune de 1871
P.-O. Lissagaray
La Commune de 1871
Jules Guesde
Histoire authentique de la Commune de Paris en 1871
Bonninière Beaumont-Vassy
La Commune à Paris, 1871
Charles Virmaître