Écho de presse

Le dodo : sa disparition commentée dans la presse

le 09/05/2021 par Pierre Ancery
le 19/10/2017 par Pierre Ancery - modifié le 09/05/2021
Alice au Pays des Merveilles, de Lewis Carroll ; illustration de John Tenniel ; 1869 - source Gallica BnF

L'histoire l'a retenu comme l'archétype de l'espèce disparue à cause des hommes. Au XIXe siècle, certains, écologistes avant l'heure, prennent son exemple pour alerter les consciences. Ils sont peu écoutés.

Découvert en 1598 par les Hollandais qui visitèrent l'île Maurice, le dodo s'est éteint moins d'un siècle après. Le Dronte de Maurice, comme on l'appelle moins souvent, oiseau d'un mètre environ, apparenté au pigeon, au plumage bleu gris et aux ailes atrophiées (il ne pouvait voler), est cité encore aujourd'hui comme l'archétype de l'espèce disparue à cause de l'homme.

 

Les Européens ont en effet amené sur l'île divers animaux (chiens, porcs, macaques...) qui pillèrent les nids des dodos, tandis que les hommes détruisaient la forêt, leur habitat. Le dodo disparaît totalement dans les années 1680. Par la suite, on considéra souvent son existence comme un mythe, jusqu'à ce que des restes d'os fussent découverts au XIXe siècle.

 

Les scientifiques et le public s'intéressent alors à ce curieux volatile, dont il ne reste plus que quelques dessins et descriptions datant de deux siècles. Lewis Carroll l'intègre en 1865 à son livre Alice au pays des merveilles. En anglais, une expression apparaît : « Dead as a dodo », qui signifie : « Tout à fait mort ».

 

Son nom figure dès lors régulièrement dans la presse. Il est souvent associé à une question qui commence à émerger à l'époque : jusqu'à quand l'homme pourra-t-il se permettre de détruire la nature à son profit ? En 1860, un article du Journal des débats politiques et littéraires évoque le triste destin du dodo et en profite pour s'interroger sur l'avenir de la faune mondiale :

 

« Cette extinction des espèces vivantes, sans cataclysme, sans déluge, sans aucune des causes qui ont bouleversé les anciens mondes, n'est pas un rêve ; c'est un fait. […]

 

Ainsi voilà un fait certain : la nature vivante ne peut se maintenir à l'état de liberté en présence de l'homme et des conquêtes de la civilisation. [...]

 

Le vœu de l'économiste [...] est que le désert s'efface ; mais le désir du naturaliste est que rien ne périsse de tout ce qui est sorti de la main de Dieu. Si l'on n'y prend garde, dans cent ou deux cents ans d'ici, date qu'on peut débattre, les girafes et les antilopes ne seront plus bonnes à figurer (comme la licorne) que sur les armoiries, si tant est que dans ce temps-là on porte encore des armoiries. »

 

L'article attribue sa disparition au bon goût de sa chair, qui aurait poussé les Européens à le chasser. Il semble qu'en réalité, le dodo n'était pas très bon au goût, comme l'atteste la redécouverte du témoignage de Van Neck, le Hollandais qui prit possession de l'île en 1598. Le texte est cité dans La République française en 1875 :

 

« […] des susdits oiseaux avons-nous prises une certaine quantité, accompagné d’aucunes tourterelles et d’autres oiseaux ; avons cuit cet oiseau, estoit si coriace que ne le pouvions assez bouillir, mais l’avons mangé à demy cru. »

 

En 1878, un article paru dans La France, intitulé « Extinction des grands animaux », fait lui aussi une large part au dodo dont il retrace la brutale extinction. Le message est écologiste avant l'heure et la conclusion s'avère alarmiste :

 

« Les drontes, les géants, les dinornis, les épiornis, etc., ne tarderont pas à être suivis d’autres victimes de la concurrence humaine. Déjà, les grands carnassiers disparaissent rapidement sous les balles [...] ; les baleines et autres gros animaux marins deviennent de plus en plus rares ; le plus grand des cerfs, l’élan, est moins répandu qu’autrefois [...] ; le nombre des éléphants, des girafes, des autruches, etc., se restreint de plus en plus. Tout le gros gibier, en général, disparaît, par suite de la chasse imprévoyante et sans règle qu’on lui fait. Les seules des grandes espèces que l’homme laissera survivre seront celles dont il pourra tirer sans beaucoup de peine un profit quelconque, ou qui, abdiquant leur fierté, voudront bien, à l’exemple, peu contagieux du reste, de l'éléphant des Indes, se plier à la domesticité. »

 

Ces cris d'alarme, toutefois, resteront longtemps bien isolés. Il faut attendre 1923 pour qu'ait lieu à Paris le premier congrès international de protection de la nature.