Écho de presse

Maupassant : "Quelle mouche a piqué mes confrères !"

le 02/12/2019 par Marina Bellot
le 23/09/2016 par Marina Bellot - modifié le 02/12/2019
Guy de Maupassant, M. Desboutin - Source BnF

En 1885, Bel-Ami déclenche une polémique parmi quelques journalistes qui voient dans le roman une critique de la presse de l'époque.

En 1885, le Bel-Ami de Maupassant paraît en feuilleton dans le grand journal de l'époque Gil Blas, créant une polémique née du fait que le roman renvoie une mauvaise image de la presse. Maupassant y fait en effet une satire de la presse du XIXe siècle à travers l'histoire de Georges Duroy, homme ambitieux et séducteur, employé au bureau des chemins de fer du Nord, parvenu au sommet de la pyramide sociale grâce notamment à la collusion entre la finance, la presse et la politique. Son personnage est ouvertement sans scrupules : "Je serais bien bête de me faire de la bile. Chacun pour soi. La victoire est aux audacieux. Tout n’est que de l’égoïsme. L’égoïsme pour l’ambition et la fortune vaut mieux que l’égoïsme pour la femme et pour l’amour."

Maupassant, lui-même journaliste, a travaillé pour Gil Blas, et c'est naturellement dans ses colonnes qu'il revient le 1er juin 1885 sur la polémique créée par une partie de ses confrères - malgré un accueil critique enthousiaste de la plupart des journaux de l'époque (L'Écho de Paris, Le Matin, La Justice...) :

"Mon cher rédacteur en chef,
Au retour d'une très longue excursion qui m'a mis fort en retard avec le
Gil Blas, je trouve à Rome une quantité de journaux dont les appréciations sur mon roman Bel-Ami, me surprennent autant qu'elles m'affligent. (...) Donc les journalistes, dont on peut dire, comme on disait jadis des poètes : « Irritabile genus », supposent que j'ai voulu peindre la Presse contemporaine tout entière, et généraliser de telle sorte que tous les journaux fussent fondus dans la Vie Française, et tous leurs rédacteurs dans les trois ou quatre personnages que j'ai mis en mouvement. Il me semble pourtant qu'il n'y avait pas moyen de se méprendre, en réfléchissant un peu. J'ai voulu simplement raconter la vie d'un aventurier pareil à tous ceux que nous coudoyons chaque jour dans Paris, et qu'on rencontre dans toutes les professions existantes. Est-il, en réalité, journaliste ? — Non. (...)
Or, comment a-t-on pu supposer une seconde que j'aie eu la pensée de synthétiser tous les journaux de Paris en un seul ?
Quel serait l'écrivain ayant des prétentions, justes ou non, à l'observation, à la logique et à la bonne foi, qui croirait pouvoir créer un type rappelant en même temps la
Gazette de France, le Gil Blas, le Temps, le Figaro, les Débats, le Charivari, le Gaulois, la Vie Parisienne, L'Intransigeant, etc., etc.
Et j'aurais imaginé la
Vie Française pour donner une idée de L'Union et des Débats, par exemple ! Cela est tellement ridicule que je ne comprends pas vraiment quelle mouche a piqué mes Confrères !