Séquence pédagogique

Landes de Gascogne, plus grande forêt artificielle d’Europe occidentale

le par - modifié le 15/02/2024
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Dans le Sud-Ouest de la France, la très étendue forêt des Landes de Gascogne a été plantée sur les landes asséchées, selon une loi votée par Napoléon III en 1852. Cet exemple permet d’aborder sous un angle l’histoire environnementale et l’histoire économique de la France sous le Second Empire avec les élèves.

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Dans les programmes de l’enseignement secondaire :

Quatrième (L'Europe et le monde au XIXe siècle : L'Europe de la « révolution industrielle »)

Première Générale (L’industrialisation et l’accélération des transformations économiques et sociales en France)

Première technologique (Les transformations politiques et sociales de la France de 1848 à 1870 - la transformation de l’économie et de la société sous le Second Empire, régime autoritaire (industrialisation, urbanisation, essor du chemin de fer)

Classe de Terminale générale, spécialité histoire-géographie-sciences politiques (thème sur l’environnement)

 

Introduction

Les forêts occupent une place importante au sein des préoccupations environnementales. En témoigne l’émotion suscitée par les spectaculaires feux, comme ceux qui ont touché le Sud-Ouest de la France à l’été 2022. Ceux-ci sont extrêmement destructeurs, survenant de plus en plus fréquemment et parfois en dehors de la période estivale. Ils sont voués à se multiplier selon les spécialistes, en raison de la surexploitation des ressources et du changement climatique.

Pour comprendre l’intérêt d’étudier la forêt comme un objet historique, remontons aux origines d’un massif familier à de nombreux Françaises et Français : celui des Landes de Gascogne. Il s’agit de la plus grande forêt artificielle d’Europe, véritable création du Second Empire. Elle été plantée sur les landes asséchées selon une loi votée en 1852, et s’étend aujourd’hui sur les départements des Landes et de la Gironde.

Cet exemple permet d’étudier de près, avec les élèves, un exemple d’influence des États et des sociétés sur leur environnement.

Exploiter les ressources de la forêt dans un contexte d’industrialisation

L’intervention des États sur la gestion des ressources forestières est très ancienne. C’est déjà le cas dans le Royaume de France, sous l’Ancien Régime. En 1669, au début du règne de Louis XIV, une ordonnance porte par exemple sur l’usage des eaux et forêts. Le bois est alors une ressource essentielle pour la marine, à une période où les guerres sont fréquentes.

La surface forestière française baisse au fil des siècles ; ainsi, le but de la création de la forêt des Landes de Gascogne est avant tout économique. Les mesures visent à exploiter de manière plus intensive les ressources du territoire.

« Cependant, le pauvre département des Landes a le plus à souffrir de cette invasion des dunes. Dans cette contrée elles avancent de 20 mètres environ tous les ans, sur une longueur de 25 lieues. C'est-à-dire que chaque année une bande de terrain de 20 mètres de largeur sur 25 lieues de long est perdue pour l'agriculture. Plusieurs fois on a espéré avoir mis une digue par les boisements à ce fléau permanent et terrible ; mais on  comptait sans l'océan, cette officine immense où s'élaborent de si formidables choses. Souvent, quand on a fixé par des plantations quelqu'une de ces montagnes de sable, la mer s'empresse d'en former de nouvelles. Dans une tempête, leur masse effrayante se met en marche tout entière et recouvre insensiblement les champs, les forêts, les étables des troupeaux et les habitations des hommes.

Or, vers le milieu du siècle dernier, on ne connaissait pas la ressource protectrice des boisements, et les malheureux habtitans (sic) du littoral étaient exposés sans défense aux ravages des dunes. Le laboureur ne quittait sa maison et son héritage qu'à la dernière extrémité ; mais quand le sable menaçait jusqu'à la flèche du clocher paroissial, il fallait bien céder. On voyait alors des familles, chargées de leurs modestes bagages, gagner tristement avec leurs bestiaux l'intérieur du pays, à peine moins pauvre et moins désolé que celui qu'elles quittaient. Ainsi abandonnés, le village ne tardait pas à disparaître ; un peu de temps encore, l'extrémité des grands sapins plantés devant chaque maison landaise, la croix du clocher, peut-être un pan de mur plus élevé que les autres, dominaient l'épaisse couche de sable ; mais un coup de vent d'ouest achevait l’œuvre de destruction, et bientôt le nom même de ce lieu si longtemps habité par les hommes vivait seulement dans la mémoire de quelques vieillards ou dans les légendes fabuleuses de sorciers et de démons. » 

- Extrait du Siècle, 21 octobre 1852 

Question :


Quelle est la situation des Landes en 1852 d’après le quotidien national Le Siècle ?

 

L’ancien système agro-pastoral est remplacé par une sylviculture intensive, avec entre autres des activités liées à l’extraction de la résine. Auparavant, l’agriculture se pratiquait dans les Landes en dépit de l’humidité ; l’élevage ovin dominait.

Suite aux bouleversements amorcés sous le Second Empire, de nombreux paysans ont été expropriés ou ont retrouvé d’autres métiers en lien avec le bois, comme le gemmage, c’est-à-dire l’extraction de la résine.

« Une des ouvres d'amélioration territoriale les plus vastes et les plus profitables que l'on pût exécuter dans notre pays vient d'être menée à bonne fin. L'assainissement et la mise en valeur des landes de Gascgone sont aujourd'hui des faits accomplis.

L'ingénieur auquel appartient l'initiative de cette heureuse entreprise, M. Chambrelent, a publié dernièrement une notice remplie d'intérêt sur les travaux au moyen desquels les landes ont pu être transformées. En faisant connaître la marche et les résultats d'une opération odnt le succès est aujourd'hui assuré, et que l'on peut mettre en parallèle avec les beaux travaux exécutés en Belgique pour l'amélioration de la Campine, nous croyons donner le plus utile enseignement aux cultivateurs des contrées de l'empire placées dans des conditions analogues à celles que présentaient, il y a dix ans, les landes de Gascogne, et qui appellent les mêmes travaux. C'est la conquête pacifique d'une superficie territoriale équivalant à près de deux départemens (sic) , dont nous allons résumer l'histoire instructive.

À l'époque où M. Chambrelent commença ses études, en 1842, toute la partie du territoire de la France située le long des côtes de l'Océan, entre la Gironde et l'Adour, présentait une étendue de 800,000 hectares de terrains incultes et inhabités, connue sous le nom de landes.

Les landes de Gascogne forment un vaste plateau à une hauteur de 80 à 100 mètres au-dessus de la mer. Le terrain en est maigre et sablonneux, d'une épaisseur moyenne de 60 à 80 centimètres, reposant sur un sous-sol imperméable formé d'une couche de sable agglutiné par des matières végétales que l'on désigne dans le pays sous le nom d'alios. Complètement desséchées en été, les landes étaient inondées pendant les six mois d'hiver par les pluies, si abondantes sur les côtes de l'Océan [...].

Le succès obtenu par M. Chambrelent, et le rapport favorable du jury international de l'Exposition universelle de 1855, où avaient figuré les jeunes arbres venus sur son domaine de St-Alban, décidèrent le Corps législatif à voter la loi du 19 juin 1857, qui ordonnait l'assainissement et la mise en valeur de toutes les landes communales situées dans les deux départemens (soc) de la Gironde et des Landes. 

Depuis le vote de cette loi, 130,000 hectares de landes appartenant aux communes ont été assainies et ensemencées dans le département de la Gironde ; la dépense de ces travaux, qui s'élève à un peu moins de 20 francs par hectare, est payée par le produit de la vente d'une partie des landes. Or, tout hectare de landes communales couvert de pins de vingt à trente ans devant donné au moins 40 francs de revenu en résine, on peut juger par ces chiffres du résultat de ces travaux agricoles au point de vue financier, indépendamment des avantages qui en résultent pour la salubrité de toute une vaste contrée.

Les mêmes travaux ont été exécutés avec le même succès sur les landes communales du département voisin. »

- Extrait de La Patrie, 1er mars 1864

Question :


Comment les transformations des Landes sont-elles décrites ?

 

Le paysage landais est durablement bouleversé en quelques décennies, tout comme la société rurale.

Ces mesures, qui émanent d’un régime autoritaire, mènent à une privatisation croissante du territoire : les pins landais ont été plantés à l’avantage des propriétaires et des spéculateurs, et au détriment des bergers. Une approche d’histoire sociale enrichit considérablement la compréhension des enjeux de la création de la forêt pour la société rurale. Les élèves peuvent à cet effet étudier des événements comme la grève des semeurs de la forêt de Gascogne, en 1863.

Valoriser et protéger la forêt des Landes : une préoccupation croissante

Au XXe siècle, l’exploitation des ressources du massif est loin de cesser.

Question :


Comment cet article de 1931 dessine-t-il l’avenir de la forêt landaise ?

En parallèle de cette exploitation continue, l’attrait pour la forêt grandit. Déjà au XIXe siècle, l’épanouissement du romantisme dans les arts et les lettres ou le développement du tourisme ont contribué à esthétiser ce type de paysages.

«  LE PIN DES LANDES


On ne voit en passant par les Landes désertes,
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l’herbe sèche et des flaques d’eaux vertes
D’autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc ;

Car, pour lui dérober ses larmes de résine,
L’homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu’aux dépens de ceux qu’il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !

Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.

Le poète est ainsi dans les Landes du monde :
Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu’il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d’or !» 

- Poème « Le Pin des Landes » de Théophile Gautier, publié dans le receuil Espana (1840)

La balade en forêt est promue pour ses vertus, alors que les progrès de l’hygiène et de la médecine valorisent le grand air. A côté de l’esthétisation et de l’attrait pour le bon air forestier, le souci de protection voire de sanctuarisation de la forêt grandit.

Les craintes de voir disparaître le massif émeuvent de plus en plus. Les tempêtes destructrices émaillent son histoire : celles de 1893, 1915 et 1999 sont les plus marquantes. De même, sa vulnérabilité aux incendies est accrue par la chaleur et la sécheresse de la région, conjugués aux vents océaniques. Les feux d’août 1949, immenses et meurtriers, émeuvent particulièrement.

Conclusion

Le ralentissement de l’exploitation des ressources de la forêt au XXe siècle s’explique par des nombreux facteurs, comme l’exode rural dû aux conditions de travail difficiles, les destructions et la concurrence de la résine importée. Dans les décennies suivantes, la notion de patrimoine naturel s’impose progressivement, accompagnée de politiques de protection toujours plus précises et encadrantes. Les Landes de Gascogne demeurent jusqu’à aujourd’hui l’un des territoires français les plus boisés. L’étudier avec les élèves permet de croiser plusieurs histoires : politique, économique, environnementale ou encore sociale. Ce travail peut aussi être nourri par une démarche géographique.

Pour aller plus loin

Jacques Sargos, Histoire de la Forêt landaise : Du désert à l'âge d'or, Bordeaux, L'horizon chimérique, 1997 (réédité en 2004)

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Sihem Bella est professeure d’histoire-géographie (Académie de Lille) et travaille sur Alger au XIXe siècle dans le cadre d'une thèse en histoire contemporaine (IRHiS, Université de Lille). Elle est membre de l’APHG (Association des Professeurs d’Histoire-Géographie)