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Le Figaro, 1 octobre 1902

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Le Figaro
1 octobre 1902


Extrait du journal

ainsi que des grands mots des autres, et nous verrons combien cela est simple et combien l'idée de Charpentier pouvait faire de bien sans faire d'autre bruit que celui des instruments et des voix. Tout d'abord, puisque tout est « so cial » de notre temps et qu'on ne peut pas éviter d'être « social » même quand ça ne veut rien dire, passons au côté so cial! Il est extrêmement difficile de com prendre pourquoi un chef de maison se priverait des services d'une excellente ouvrière parce qu'une fois sa journée finie elle aimerait mieux faire de l'art que de faire la noce. Croit-on les pa trons français si durs'et si sots? Il est non moins difficilede saisir pour quoi un mari serait, par définition, un être assez férocement borné pour ne vouloir qu'une ménagère dénuée de tout agrément d'esprit. Qui sait même s'il n'en est pas qui renonceraient une fois par semaine à la manille et aux alcools pour passer la soirée avec une femme qui serait capable de leur chanter de belles choses avec une jolie voix ?. De même, si l'on commence' à admet tre qu'une véritable artiste, par nature et profession, peut être une bonne mère et une femme parfaitement entendue aux choses du foyer sans que son art fin souffre, est-il absurde de supposer, par réciproque, que celle qui est vouée au métier est capable de prendre goût et distraction aux œuvres de l'esprit sans que son métier s'en gâte ? Nier l'un et l'autre serait méconnaître les artistes et outrager gratuitement les ouvrières. *** ' Le « côté social » ainsi expédié en cinq sec, voyons le côté réel, pratique, les faits. Le goût des arts donné aux ou vrières parisiennes serait cause de leur perte, préparerait un nombre excessif d'évadées ou de ratées ? Mais est-ce qu'on a attendu la fondation Charpentier pour que ce recrutement s'opérât ? Le brunis sage, la couture, les fleurs artificielles, les modes, le piquage des bottines, etc., sont absolument comme le journalisme: ils mènent à tout, mais on n'a pas forcé ment la possibilité ni même le désir d'en sortir. Le magasin de vente et l'atelier avaient déjà fourni beaucoup d'artistes charmantes, quelques-unes même de célè bres. C'étaient des destinées ; il n'y en aura ni plus ni moins, car la culture et les talents sont deux domaines distincts, quoique étroitement superposés. Plus la culture générale -est grande, mieux, les talents sont appréciés, mais il ne s'ensuit pas qu'ils doivent être plus nombreux. Pourquoi ne pas voir, au contraire, avec beaucoup de joie introduire un peu de-raffinement et de noblesse dans les mœurs populaires, qui sont en l'état ac tuel, chez nous, assez banales et grossiè res ? On veut bien que les ouvrières chantent pourvu qu'elles ne chantent pas en mesure, et l'on aime mieux qu'el les passent trois heures à dévorer quel que stupide feuilleton qu'une heure à lire un beau livre 1 Ce qu'il y a de comique, c'est que les objections*,, les mécontentements pro viennent sùrtout de ceux qui se font de la femme qui travaille dans notre im mense Paris une image inférieure. Celui-ci revient d'Allemagne, ou de Suisse, ou de Norvège, et's'écrie avec des pâmoisons et des soupirs : — J'ai entendu là-bas des chœurs d'ou vrières, de paysannes, qui étaient admi rables ! Les artistes de profession ne font pas mieux. Ah ! ce n'est pas chez nous que l'on a cela! Cet autre a été à Oberammergau et a vu représenter la Passion : —Par des paysans, oui, monsieur, par de simples paysans et de « vulgaires » paysannes. Et vous savez, ces braves gens, ça ne les empêche pas de très bien cultiver la terre, et les femmes n'ont pas, dans ces pays si supérieurs au nôtre, oublié la façon de donner -à teter. Ah ! ce n'est pas chez nous que... Un autre a appris cette chose extraor dinaire. En Angleterre, les ouvrières, les employées des grandes maisons, avec l'encouragement et même le concours pécuniaire des directeurs de ces entre prises — qui ne sont pas cependant des gens à faire à leur personnel, durant le business-rtirne, rémission d'une minute ni d'un centime, — ces femmes, ces jeunes filles' occupent leurs loisirs à se réunir en classes, en clubs de littérature, de musique, d'art dramatique. Vraiment, c'est merveilleux! « Ah 1 ce n'est pas chez nous... ! » On s'extasie pour avoir lu qu'au Japon les petites servantes d'auberge, tout en faisant leur service à merveille, savent dessiner et peindre avec beaucoup d'es prit et de goût. «Ah! ce n'est pas chez nous...! » Eh bien! ce qu'on trouve harmonieux en Suisse, étonnant en Allemagne, ré confortant à Londres. adorable au Japon, l'on a tout de suite des tentations de le déclarer dangereux dès qu'on le propose et tente ici. Pourquoi? Parce qu'il s'agit — donnez une autre raison si vous pou vez — des petites ouvrières parisiennes, qui ne le cèdent ni en voix aux Suissesses, ni en grâce aux Japonaises, ni en goût aux Allemandes, ni en sérieux aux An glaises. Voue voyez bien que l'idée de Gustave Charpentier, pour avoir été exprimée et lancée sous une forme un peu extatique et un peu chevelue comme sa très en traînante et très séduisante personne, n'est pas de celles dont il faut rire ou se fâcher; mais qu'il est nécessaire de l'en courager, parce qu'elle est utile. Nous irons donc avec grand plaisir applaudir ses petites Charpentières. Si son œuvre traverse victorieusement la période d'élan et la période de décou ragement, toutes deux également:redou tables chez nous, elle lui fera grand hon neur et à nous grand bien. Car lors qu'on répand de la beauté, c'est, à la récolte, de la bonté qui pousse. Arsène Alexandre....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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