Quelle est la ligne éditoriale de la collection « A la source » que vous dirigez ?
La collection « À la source » que je dirige aux éditions La Découverte regroupe des essais historiques. L'idée de départ est de demander à des historiens et à des historiennes de s'emparer de sources que j'appelle encore aujourd'hui des « sources entêtantes » : des sources que l'on croise pendant notre recherche, que l’on ne sait pas trop travailler, dont on ne sait pas trop quoi faire, mais dont on sent qu'elles peuvent apporter un surcroît de connaissances à notre propre recherche.
Il s’agit aussi de remettre au cœur le travail de l'historien, de montrer les échafaudages, et de prendre en compte, éventuellement, l'émotion du chercheur pour comprendre ce que cela transforme dans la lecture de nos travaux. Avoir une attention également accrue aux formes d'écriture et, du coup, à la transmission. Il y a donc ici l’envie d’explorer, d’oser sortir du seul champ académique pour proposer des essais qui apportent de la connaissance en termes historiques.
Le premier ouvrage de la collection était Vies Oubliées (2019) d’Arlette Farge. Cela faisait sens pour moi puisqu’elle est une historienne capitale dans mon parcours. Cela faisait sens, proposer une forme d'écriture particulière, une approche sensible de l'écriture historique et du sujet. Dans cet ouvrage, Arlette Farge prend ce qu'elle appelle ses « reliquats » ou ses « déchets d'archives ». Elle a pris en note toutes ses sources à la main et a recopié des pages et des pages et des pages pour fabriquer tous ses livres précédents. L'objet du livre, c'est de reprendre ces « déchets », ces « reliquats », et de voir comment la vie du Paris du XVIIIᵉ siècle populaire prenait une couleur particulière, à partir de ces déchets d'archives.
Quelles sont vos recherches actuelles et vos prochains projets ?
Alors pour l'instant, je pourrais découper mes projets en deux grandes catégories. Il y a d'abord la poursuite de mon travail éditorial que je découvre en fait depuis quelques années à travers à la source et sensibilité. Donc continuer d'accompagner, de réfléchir et d'apprendre, toujours grâce aux auteurs que j'accompagne et aux numéros de revues qu'on fabrique. C'est le premier moment que je sens aussi. Je pressens que c'est une exploration infinie qui n'a pas terminé de me passionné.
Et puis, plus dans mon volet recherche qui me tient aussi le plus à cœur encore - je ne sais pas si j'ai le droit de dire ça. Je suis en train d'écrire mon propre à la source qui était censé au départ être le premier ouvrage de la collection et qui sera donc le huitième ou le neuvième. J'arrive plus à faire le compte et qui est en fait je travaille sur ma source. C'est un album photographique d'un voyage de noces qui a lieu en 1919, donc au lendemain de la guerre. Un voyage de noces d'un ancien mobilisé qui s'était engagé en 1914, engagé volontaire à 17 ans en 1914, qui a fait toute la guerre, qui se marie en 1919 à la mairie de Saint-Malo, de Saint-Malo et qui, le soir même, part pour un mois dans les tranchées qu'il vient d'abandonner. Donc, c'est un retour à l'intime comme on en a peu, puisqu'en fait, la caractéristique des sources qui sont à ma disposition pendant la guerre, c'est qu'elle n'existe plus au lendemain de la guerre. C'est dire que c'est correspondances Avec cette inflation énorme de l'expression l'intime n'existe plus. Il faut donc avoir recours, changer d'échelle déjà, et à y regarder peut-être d'autres types de sources. Donc là, c'est un album photographique qui, et je sais ma source entêtante qui ne quitte pas depuis la thèse. C'est cet album sur lequel je suis en train de terminer un manuscrit pour la collection À la source.
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Clémentine Vidal-Naquet est historienne de l'intime et des sensibilités, maîtresse de conférences à l'université de Picardie Jules-Verne. Son travail porte principalement sur la Première Guerre mondiale, et notamment les couples durant cette période, à l’image de sa thèse, « Te reverrai-je ? » : le lien conjugal pendant la Grande Guerre.