Écho de presse

Ernest Hello, un écrivain mystique perdu en plein XIXe siècle

le 25/10/2019 par Rod Glacial
le 15/10/2019 par Rod Glacial - modifié le 25/10/2019
Portrait d'Ernest Hello appartenant à son ami Léon Bloy et datant de 1879, La Croix, 1922 - source : RetroNews-BnF
Portrait d'Ernest Hello appartenant à son ami Léon Bloy et datant de 1879, La Croix, 1922 - source : RetroNews-BnF

Ignoré de son vivant, devenu un auteur culte pour une poignée de lecteurs avertis tout au long du siècle suivant, le génial écrivain catholique demeure encore aujourd’hui un mystère. Qu’a bien pu dire la presse de cet étrange mage retranché dans son manoir breton ?

Considéré comme un illuminé par les catholiques de son temps et largement ignoré par les autres, peu ont reconnu le travail – de même que la « grandeur d’âme » – de l’écrivain et apologiste chrétien Ernest Hello (1828-1885) de son vivant.

Né et mort à Lorient à l'âge de 56 ans, la vie d’Hello a d'abord été marquée par une trajectoire imposée par son père, riche avocat libéral et anticlérical. Ses études de droit et de théologie le conduisent à Rennes puis à Paris, et c'est justement en suivant les séminaires de l'église du Saint-Sulpice (et les sermons du père Lacordaire) qu'il comprend que sa vocation n'est pas du côté des tribunaux mais, plutôt, de celui des cieux.

C'est décidé, sa croyance sera libératrice, sa mission une joie et la fatalité sera son ennemie. Le jour où Hello a basculé nous est raconté dans le grand quotidien catholique et conservateur La Croix, le 23 mai 1896, soit plus de dix ans après son décès :

« Celui qui devait être le grand penseur et le grand mystique, Ernest Hello, venait d'être reçu avocat et se disposait à suivre cette carrière. Mais à peine a-t-il acheté sa robe, qu'il va la déposer aux pieds de son père, en disant :

“Je ne la porterai plus, j'en prends ici l'engagement irrévocable. Je sors de la conférence. On y a posé la question de savoir si un avocat, connaissant l'injustice d'une cause, peut la défendre en conscience. Ils ont voté l'affirmative. Ils ne me compteront pas parmi eux !”

La vérité ne cessa d'être la grande passion, la joie de la vie de Hello.

“La vérité, a-t-il écrit, mais c'est elle qui est la béatitude.” »

Romantique engagé en faveur de « l’Unité et la Vérité », fervent disciple de  l’écrivain et homme politique contre-révolutionnaire Joseph de Maistre, amateur de Pascal et d'Alfred de Musset, Hello publie son premier essai chez Victor Palmé (à qui il restera fidèle) à l'âge de 31 ans, M. Renan, l'Allemagne et l'athéisme au XIXe siècle (1859).

Il profite de cette thèse de fin d'études pour critiquer Hegel (à qui il préfère de loin l'harmonie d'un Goethe), questionner la foi de son homologue breton Ernest Renan et passe d'entrée auprès de ses confrères pour une sorte de prophète zélé. Marié à Zoé Bertier (écrivaine de contes sous le pseudonyme de Jean Lander), il co-fonde la revue Le Croisé, dans laquelle il écrit de 1859 à 1861, année où il rompt avec les dérives ésotériques de son rédacteur en chef Georges Seigneur – on le rappelle, Dieu restant l'hypercentre de l'œuvre et de la vie d’Hello.

Ses publications suivantes s'enchaînent : Le Style (théorie et histoire) en 1861, Le Père Lacordaire en 1862 et une piqûre de rappel pour Renan intitulé, M. Renan et la vie de Jésus en 1863.

C'est en 1867 que le journaliste et polémiste catholique Louis Veillot le repère. Celui qui avait un jour déclaré « si un jour je gagne le gros lot, je fonderai dès le lendemain un journal dont Ernest Hello sera le seul rédacteur » joint le geste à la parole et demande à l’écrivain breton de rejoindre les pages du journal qu'il dirige et qui vient de reparaître après une suspension de sept ans, le conservateur et monarchiste L'Univers.

Exposition à la BnF

L'Invention du surréalisme : des Champs Magnétiques à Nadja.

2020 marque le centenaire de la publication du recueill Les Champs magnétiques – « première œuvre purement surréaliste », dira plus tard André Breton. La BnF et la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet associent la richesse de leurs collections pour présenter la première grande exposition consacrée au surréalisme littéraire.

 

Découvrir l'exposition

Chroniqueur assidu au journal de 1867 à 1871, Hello y déploie son verbe dans des contes et des textes au sujet de Voltaire (qu'il combat d’un point de vue idéologique), Shakespeare (qu'il respecte), George Sand (qu'il égratigne), Jan Van Ruysbroeck (dont il a traduit les œuvres) ou Victor Hugo (figure qu'il accuse de « tout traîner dans la boue tel un auteur de théâtre » – Hello déteste également Boileau et Racine).

Il s'arrange également toujours pour défier Le Figaro sur son propre terrain, par exemple en interrogeant le journal sur ce qu’il nomme « la mort de l'Église » le 26 juillet 1868, plus d’une décennie avant la création de l’école laïque et quelque 37 ans avant la séparation de l’Église et de l’État :

« En général, quand un tyran est mort, il n'est plus gênant. Mais on fait à l'Église ce double et contradictoire reproche d'être morte depuis plusieurs siècles et d'entraver le dix-neuvième siècle. Il faudrait s'entendre. […]

Comment donc les révolutionnaires, comment les libres penseurs, comment tous ceux qui acclament la mort du catholicisme, ne trouvent-ils pas vis-à-vis de lui, dans leur fierté ou dans leur croyance nouvelle, un peu d'oubli ? C'est que leur fierté est feinte et que leur croyance nouvelle n'existe pas.

Ils rendent un hommage singulier, profond, à cette foi dont ils ne veulent plus, hommage d'autant plus authentique qu'il est inconscient et involontaire. Cet hommage consiste dans l'impossibilité de vivre en paix sans elle. Nul ne sait combien les colères dont l'Église est l'objet contiennent de Foi. »

L'Homme, recueil de textes classées en trois thèmes (La Vie – La Science – L'Art) paraît en 1872 après avoir été expurgé des passages les plus problématiques vis-à-vis du lectorat catholique traditionnel. Une simple citation peut nous aider à comprendre pourquoi :

« La miséricorde ? Qui donc la vengera du visage niais qu'on lui donne très souvent ?

Quand donc comprendra-t-on qu'elle est inséparable d'une haine active, furieuse, dévorante, implacable, exterminatrice et éternelle, la haine du mal ?

Quand donc comprendra-t-on que, pour être miséricordieux, il faut être inflexible ; que, pour être doux envers celui qui demande pardon, il faut être cruel envers l'ennemi des hommes qui a sucé le sang de cet homme à genoux, cruel envers l'erreur, la mort et le péché ?

La miséricorde est terrible comme une armée rangée en bataille. »

En mettant en lumière « l’erreur du mal », Hello fit de trois grands écrivains catholiques de la fin du XIXe sicèle, Léon Bloy, Jules Barbey d'Aurevilly et Joris-Karl Huysmans, ses plus fidèles admirateurs. Le premier devint un intime, le second dit de lui qu'il était « d'une hauteur de mysticisme qui épouvante d'admiration », quant au dernier, il se demandait pourquoi on louait Stendhal au profit de « cet étonnant Hello dont l'inexpugnable insuccès tient du prodige ».

Le vaste ouvrage qu'est L'Homme n’obtiendra pourtant que peu de relais. Il n'y a bien qu’Henry Trianon dans Le Constitutionnel du 12 septembre 1872 qui en saluera la prose dans une chronique relativement longue :

« M. Hello écrit et ne sculpte pas. Tout au plus dirait-on que son style agit.

Par moments, il ouvre l'abîme et donne le frisson. »

Il faudra attendre les rééditions de L'Homme, après la mort d'Hello, pour que son public dépasse « la douzaine de lecteurs » connue, comme certains journaux le rapportaient alors. Mais s'en souciait-il réellement lorsqu'il écrivait  par exemple : « L'art qui songe aux applaudissements, abdique. Il regarde en bas, au lieu de regarder en haut. Il pose sa couronne sur le front de la foule » ?

Il publiera trois autres ouvrages de son vivant : Physionomies de saints en 1875, Contes extraordinaires en 1879 et Les Plateaux de la balance en 1880., dans une indifférence relative. Le premier fut accueilli par un tacle de la part du journaliste et écrivain Paul Parfait dans un article pour le journal républicain Le Bien Public daté du 26 janvier 1878 :

« Nos pères avaient une expression gaie pour désigner ce genre de littérature transcendante. Ils l’appelaient du galimatias double. »

À sa mort le 14 juillet 1885, une dizaine de nécrologies – de cinq phrases, tout au plus – paraîtront ci et là. Curieusement, c’est Le Figaro qui se fendra de deux tribunes plus poussées et analytiques. La première, intitulée « Les Dilettantes de la foi » datée du 24 juillet 1985, et la seconde, « Les Écrivains sacrilèges », publiée le 17 octobre 1885, douteront toutefois de la sincérité et de la sanité d’esprit du disparu Hello, en taxant au passage Barbey d'Aurevilly de « sadique chrétien ».

Hello, sans chapelle ni parti, mourra pauvre dans son manoir délabré, sans connaître la célébrité, refusant même l'aide du célèbre reporter Félix Platel, qui nous le rappelle dans une tribune vibrante publiée sous le pseudonyme d’Ignatus au mois de décembre 1896.

Ernest Hello, résigné, écrivait lui-même :

« Que de fois, en regardant Paris, je me suis dit : Mon Dieu ! Pauvre ville !

Que de forces perdues s'agitent dans son sein ! Pendant que de froides médiocrités parviennent gaiement à un succès facile, que d'intelligences égarées ou captives n'ont pas trouvé, faute d'un guide et d'un appui, leur route ou leur délivrance ! »

L'historien Joseph Serre fera beaucoup pour populariser l'auteur décédé, notamment en publiant sa première biographie dès 1894. C'est aussi cette année-là que sera réédité pour la première fois L’Homme. Signe de l’intérêt suscité par celle-ci, le Mercure de France en profitera pour consacrer à l’œuvre un dossier de trente pages accompagné de correspondances inédites, d'un portrait de l'auteur et d’une carte postale envoyée à son ami Léon Bloy.

Dans Le Soleil, Oscar Havard dresse l'un des plus beaux éloges d'Hello et de sa quête d'audience, qui n'était pour lui non pas un pêché d’orgueil, mais une volonté de distribuer ce qu’il pensait être « le Bien » au plus grand nombre. Il utilise une citation de l’auteur, impressionnante :

« Le Malheur et le Génie parcourent le monde en mendiant. Nulle part ils n'ont droit de cité. Pour eux, la foule est un désert, c’est à eux qu’il faut demander comment tue l’homicide par omission.

La Passion est la mère des crimes par action. L’Indifférence est la mère des crimes par omission. Il n’y a que deux mendiants, le Malheur et le Génie, qui sachent apprécier la tournure de ce passant pressé qui s’appelle l’Indifférence.

L’Indifférence est une personne qui n'a pas le temps. Elle a toujours d’autres affaires. Elle a, pour ceux qu’elle égorge, une haine instinctive, elle leur reproche d’être égorgés. Elle trouve que les gens assassinés sont ennuyeux : ils crient. Et, même s’ils étouffent leurs cris dans leur poitrine, on devine encore qu’ils ont envie de crier : c'est déjà beaucoup trop, et l'Indifférence qui les assassine ne leur pardonne pas cette tentation de crier qu’elle leur suppose et qui la gêne. »

Ponctuellement, la presse conservatrice qui le snobait jadis dressera d'éloquents portraits de lui. Hello se dévoilera ainsi de plus en plus au fil du temps : sa vie maritale, ses velléités, sa fragilité, sa mort.

C'est ce qu'entreprendra en profondeur Le Supplément littéraire du Figaro du 3 novembre 1928 en publiant un « Ernest Hello anecdotique » signé Gaston Picard, rapportant nombre de faits et gestes du Lorientais, chaque ligne reliant les points de détail entre eux formant, finalement, un visage du Génie.

Pour en savoir plus :

Léon Bloy, Un brelan d'excommuniés, Albert Savine, 1889

Stanislas Fumet, Hello : le drame de la lumière, par Stanislas Fumet, W. Egloff, 1945

JacquesVier, Ernest Hello ou la réconciliation de la mystique et de l'art, Annales de Bretagne,1962

Patrick Kéchichian, Les Usages de l'éternité : essai sur Ernest Hello, Seuil, 1993

Notre sélection de livres

Tuons Descartes ! Extrait d'un cours de M. E. H. Ernest Hello
Ernest Hello
Philosophie et athéisme
Ernest Hello
L'Homme : la vie, la science, l'art
Ernest Hello
Le siècle, les hommes et les idées
Ernest Hello