Généalogie

Un instituteur dans la famille ? Reconstituez sa vie grâce à RetroNews !

le 10/10/2023 par Tony Neulat
le 10/10/2023 par Tony Neulat - modifié le 10/10/2023
Photo de classe des années 1940. © Tony Neulat.

Heureux les généalogistes qui comptent des membres du corps enseignant dans leur famille ! Les journaux anciens offrent une opportunité incroyable de retracer leur parcours, depuis leurs études jusqu’à leur retraite, en passant par leurs diverses mutations et décorations, sans compter les nombreuses surprises que l’enquête peut révéler.

Grâce à la presse ancienne, il est fréquent de débusquer un événement saillant de la carrière professionnelle d’un ancêtre, tel qu’une récompense ou un départ en retraite. À cet égard, tous les métiers ne se valent pas, certains étant beaucoup plus médiatisés que d’autres. Les artistes, les commerçants, les auteurs, les militaires, les policiers, les médecins,et tous les fonctionnaires en général sont en effet privilégiés par rapport aux simples artisans et agriculteurs , les journaux locaux et les publications officielles relayant généralement chaque étape de leur carrière. Il en est de même des instituteurs, comme l’illustre ce cas concret.

Intéressons-nous à Henri Florent Aligon, dont nous ne savons rien hormis les renseignements fournis par son acte de mariage en 1889 à Vierzon-Village (18) :

  • Il est instituteur à Vierzon-Village, est né vers 1868 à Savigny-en-Sancerre (18) et est fils de François, journalier, et de Clémentine Siguret.
  • Il épouse Lucie Vallée, née vers 1870 à Foëcy (18), fille d’André, jardinier, et de Madeleine Chameron.

On notera ce faisant l’admirable ascension sociale de ce fils d’ouvrier agricole, payé à la journée.

Débutons naturellement notre enquête en recherchant les termes « instituteur Aligon » au sein de la même colonne de journal, grâce à la recherche avancée. RetroNews nous propose 135 résultats ! C’est beaucoup pour un simple instituteur. Mais comme nous le constaterons progressivement, nous avons affaire à un double mot compte triple… Avant toute chose, trions les résultats chronologiquement à l’aide du menu déroulant situé au-dessus des vignettes de résultats. Le cinquième résultat, issu du Journal du Cher du 14 novembre 1885 nous intéresse au plus haut point :

« Voici les noms des jeunes gens et des jeunes filles qui ont été admis aux deux écoles normales de Bourges, à la suite des examens de 1885 :

École normale d’instituteurs : … Henri Aligon… »

L’article suivant, publié dans le Journal du Cher du 19 janvier 1888, est tout aussi intéressant :

« MOUVEMENT DANS LE PERSONNEL DES INSTITUTEURS.

Par arrêté préfectoral, ont été nommés :

Instituteurs stagiaires :

A Vierzon-Forges, M. Aligon, débutant. »

Ainsi, Henri Aligon a passé le concours à 17 ans pour devenir instituteur et a été admis à l’école normale de Bourges en novembre 1885. Deux ans plus tard, il débute sa carrière en tant qu’instituteur stagiaire à Vierzon-Forges.

La vignette du neuvième résultat attire également mon attention. Cet extrait du Journal du Cher du 7 mai 1889 annonce les publications de mariage, à Vierzon-Village, de « Aligon instituteur, et Vallée Lucie, sans profession ». Le même journal, en date du 8 août 1889, nous informe de la mutation de M. Aligon, d’Aubigny-Ville à Henrichemont tandis que celui du 21 octobre 1890 communique la mutation de M. Aligon, instituteur titulaire adjoint d’Henrichemont à Saint-Florent, information confirmée par L’Indépendant du Cher du 23 octobre 1890. Trois jours plus tard, La Démocratie du Cher révèle que M. Aligon est « admissible aux épreuves écrites de l’examen du certificat d’aptitude pédagogique pour l’année scolaire 1890-1891 ». Étrange… Henri enseignerait-il avant même d’avoir obtenu son CAP ?

La Démocratie du Cher du 18 août 1891 lève le voile :

« Certificat d’aptitudes pédagogiques.

Voici la liste des candidats définitivement admis à la suite des derniers examens pour l’obtention du certificat d’aptitudes pédagogiques :

MM. Abadie, Aligon (Charles-Louis)… »

Un homonyme fait donc son apparition. Quelques recherches généalogiques traditionnelles nous révèleraient qu’il s’agit d’un cousin issu de germains d’Henri. L’Indépendant du Cher du 10 mai 1892 nous précise sa première affectation :

« Par arrêtés de M. le Préfet du Cher, ont été nommés :

Instituteurs

à Savigny-en-Sancerre, M. Aligon, stagiaire à Graçay. »

Cette information est également relayée par le Journal du Cher du lendemain, qui nous précise, quant à lui, que M. Aligon était auparavant instituteur stagiaire à Dampierre-en-Crot, d’où l’importance de toujours croiser les renseignements… Cet exemple d’homonymie sème le doute et il est possible, en fin de compte, que l’instituteur d’Aubigny-Ville, Henrichemont puis Saint-Florent ne soit pas Henri Aligon.

Quant à L’Indépendant du Cher du 25 septembre 1894, il nous révèle l’existence d’une institutrice dénommée Aligon, mutée d’Ivoy-le-Pré à Couy. Mot compte triple vous disais-je… La difficulté va donc consister à dissocier les vies parallèles de ces homonymes.

Le 8 décembre 1896, nous retrouvons dans L’Indépendant du Cher un instituteur adjoint à Vierzon-Village à l’occasion d’un rejet, par le conseil municipal, de sa demande d’indemnité de logement. L’Indépendant du Cher du 20 juillet 1897 publie une liste d’instituteurs récompensés. Y figure M. Aligon, instituteur adjoint à Vierzon-Forges, qui obtient deux mentions honorables. Il s’agit probablement de notre Henri. Mme Aligon, institutrice publique à Couy, n’est pas en reste car elle se voit décerner une médaille d’argent d’après la liste diffusée dans le même journal deux jours plus tard. Le même titre annonce le surlendemain que M. Aligon, instituteur adjoint à Couy, décroche une médaille de Vermeil. Un instituteur et une institutrice du même nom dans le même village ? Il y a fort à parier qu’ils soient mariés…

L’identité précise de ce couple nous est révélée subrepticement à l’occasion d’une mutation forcée. Si La Dépêche du Berry du 1er janvier 1905 et le Journal du Cher du 3 janvier 1905 se contentent d’une dépêche purement informative :

« Par arrêté préfectoral :

M. Aligon, directeur à Léré, est nommé titulaire à Bué.

Mme Aligon, titulaire adjointe à Léré est nommée titulaire adjointe à Bué ».

le Journal du Cher du 10 janvier 1905, quant à lui, nous révèle les dessous de l’affaire :

Ce sont des tensions entre le maire de Léré et son secrétaire, l’instituteur Aligon, qui ont conduit au départ contraint de ce dernier. Cet article signale en outre que le beau-père de M. Aligon se nomme Eugène Morin. Un détail précieux qui nous confirme qu’il s’agit du même Charles Louis Aligon comme le révèlerait la suite logique de l’enquête ou des recherches généalogiques classiques.

Mais laissons de côté ce couple – dont on pourrait minutieusement retracer la vie grâce à RetroNews – et revenons plutôt à notre sujet initial : Henri. Comme nous avons pu le constater, les informations sont quasiment systématiquement publiées dans 3 journaux : le Journal du Cher, L’Indépendant du Cher et La Dépêche du Berry, voire un quatrième, La Démocratie du Cher, ce qui explique la grande quantité de coupures de presse à analyser. C’est le deuxième effet mot compte triple. Dès lors, plusieurs possibilités de recherches successives sont à notre disposition : mener une recherche spécifique tous azimuts à l’aide des termes « instituteur Aligon » comme précédemment, ou bien restreindre l’investigation à un journal (en filtrant sur le titre de publication), tout en restant vague via la saisie du simple mot « Aligon ».

Une multitude d’articles s’offrent à nos yeux émerveillés au gré de ces recherches successives. Nous découvrons ainsi que :

  • Henri est admis à subir les épreuves orales de l’examen du brevet élémentaire (La Démocratie du Cher du 19 mars 1885).
  • Il passe avec succès les examens du brevet élémentaire (en même temps que Charles Louis !) en juillet 1885 (Journal du Cher du 22 juillet 1885)
  • Il est admis à l’école normale d’instituteurs de Bourges en novembre 1885 (Journal du Cher du 14 novembre 1885).
  • Sa fille Hélène naît en mai 1891 à Vierzon-Forges (La Démocratie du Cher du 12 mai 1891 et L’Indépendant du Cher des 16 et 21 mai 1891)
  • Henri, qui avait été débouté de sa demande d’indemnité de logement en 1896 obtient gain de cause 5 ans plus tard, le gain s’élevant à 156 francs 25 centimes (La Dépêche du Berry du 24 février 1901)
  • Il est muté à Saint-Laurent en 1902 (L’Indépendant du Cher du 30 août 1902 et La Dépêche du Berry du 31 août 1902).
  • Il est promu à la 3e classe en 1905 (La Dépêche du Berry du 23 mai 1905 et L’Indépendant du Cher du 25 mai 1905)
  • Il est promu à la 2e classe en 1911 (La Dépêche du Berry 22 janvier 1911)
  • Sa fille obtient une bourse de l’enseignement primaire supérieur la même année (La Dépêche du Berry du 25 mai 1911)
  • Il obtient le 1er prix ex-aequo et la médaille d’argent pour son enseignement pratique « d’agriculture, de jardinage et d’économie ménagère » (La Dépêche du Berry du 13 juillet 1911 et L’Émancipateur du 16 juillet 1911).
  • Sa fille Renée, née le 12 juillet 1898 à Vierzon-Forges (le père instituteur à Saint-Laurent, 2 enfants), obtient une demi-bourse d’internat, cours complémentaire de Bourges en 1912 (La Dépêche du Berry du 27 février 1912 et L’Émancipateur du 29 février 1912)
  • Il obtient une mention honorable en 1913 (La Dépêche du Berry du 27 juillet 1913)
  • Sa fille, du cours complémentaire de Bourges, obtient le brevet élémentaire en 1914 (Journal du Cher des 24 et 25 juin 1914)
  • Sa fille, de l’école normale de Bourges, obtient le brevet supérieur en 1916 (La Dépêche du Berry du 9 juillet 1916 et le Journal du Cher du 10 juillet 1916)
  • Sa belle-mère décède en 1933 comme l’indique son faire-part paru dans La Dépêche du Berry du 6 février 1938.

Mais la liste serait incomplète si j’occultais le clou de cette enquête : une photographie de toute la famille !

Cette photographie a été prise à Mehun en 1939 à l’occasion des noces d’or d’Henri et de sa femme. Ils sont entourés de leurs enfants et petits-enfants. Ce précieux article, qui retrace brièvement leur vie et décrit cette cérémonie émouvante, se conclut ainsi : « Souhaitons que M. et Mme Aligon puissent réunir à nouveau tous les invités de jeudi pour fêter leurs noces de diamant, dans dix ans. » Hélas, il n’en sera rien comme l’atteste l’avis de décès de sa femme quelques mois plus tard, publié dans La Dépêche du Berry du 5 et du 8 février 1940…

Quoi qu’il en soit, ce cas concret illustre à merveille la richesse de la presse ancienne et la puissance de RetroNews pour mener des recherches généalogiques, dénicher de précieux éléments biographiques – et même des photos si la chance nous sourit ! – et retracer le parcours scolaire et professionnel détaillé d’un instituteur au fil de ses bourses, examens, stages, titularisation, mutations, promotions, récompenses, indemnités de logement, différends avec la mairie, départ en retraite...

La numérisation et l’océrisation des journaux anciens représentent une révolution généalogique tout simplement extraordinaire !

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Passionné de généalogie depuis l’âge de douze ans, Tony Neulat est rédacteur dans La Revue française de généalogie et membre de la European Academy of Genealogy. Il partage, depuis 2009, son expérience et ses conseils à travers ses publications et ses formations. Il est également auteur des guides Gallica et RetroNews : deux eldorados généalogiquesRetrouver ses ancêtres à Malte et Trouver des cousins inconnus ou perdus de vue.