Séquence pédagogique

Pour l’indépendance des Grecs : le philhellénisme au XIXe siècle

le par - modifié le 15/02/2024
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Dans les années 1820, la cause du peuple grec engagé dans une guerre d’indépendance face à l’Empire ottoman donne lieu à un élan de solidarité. L’engouement des philhellènes s’inscrit dans une veine à la fois orientaliste et romantique, et participe à la construction d’un imaginaire révolutionnaire. Les volontaires se sont toutefois heurtés avec douleur aux réalités d’une guerre sanguinaire.

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Première spécialité HGGSP (« Analyser les dynamiques des puissances internationales » : L’empire ottoman, de l’essor au déclin)

Première générale (« L’Europe entre restauration et révolution (1814-1848) », point de passage et d’ouverture « 1822 – Le massacre de Chios »)


 

Introduction 

Alors qu’en 2022 une vague soutien à la cause ukrainienne parcourt l’Europe, c’était un courant philhellène qui mobilisait les Européens deux siècles plus tôt. Dans les années 1820, la cause du peuple grec engagé dans une guerre d’indépendance face à l’Empire ottoman donne lieu à un élan de solidarité.

Parfois qualifiée de révolution, cette guerre se déroule entre 1821 et 1829. Les Grecs, majoritairement chrétiens orthodoxes, sont soutenus par les puissances européennes dans leur volonté de se détacher d’une domination ottomane qui perdurait depuis plusieurs siècles. Marquée par une alternance de victoires et de défaites et des alliances changeantes, la guerre est particulièrement sanguinaire. Après la proclamation de l’indépendance en 1821, les soulèvements sont réprimés avec force.

L’engouement des philhellènes s’inscrit dans une veine à la fois orientaliste et romantique, participant de la construction d’un imaginaire révolutionnaire. Celui-ci s’est toutefois heurté avec douleur aux réalités d’une guerre sanguinaire. Abondamment relayée par la presse, source d’inspiration littéraire et artistique pour Lord Byron mais aussi Victor Hugo ou encore Eugène Delacroix, le philhellénisme a donné lieu à des œuvres et à des publications nombreuses. Ces dernières permettent aux élèves d’appréhender les angoisses des Européens des années 1820 et les représentations de la guerre, tout en historicisant le décryptage de l’information.

L’émotion philhellène et la guerre imaginée

Sous domination ottomane depuis plusieurs siècles, la minorité grecque se trouvait soumise à un régime discriminatoire au sein de l’empire. Non musulmane, elle conservait sa liberté religieuse mais était notamment soumise à un impôt particulier. La répression des soulèvements des Grecs proclamant leur indépendance est forte, malgré le déclin de la puissance de la Sublime Porte.

Question :


En quoi cette estampe mobilise-t-elle un imaginaire propice à susciter la solidarité envers le peuple grec ?

 

Le goût de la Grèce antique est au cœur de l’attraction exercée par la cause grecque, inscrit dans l’étymologie même du terme « philhellénisme ». Pour son art, sa philosophie ou l’invention de la démocratie, notamment remise au goût du jour par les Lumières au XVIIIe siècle, le peuple de l’Antiquité est idéalisé. La mode du Grand Tour, qui souligne la place de la Grèce comme creuset culturel européen aux côtés de Rome, explique aussi cette idéalisation, tout comme le courant artistique orientaliste qui alimente une tension entre fascination et répulsion envers le monde musulman.

Les comités philhellènes constituent le relais principal de la mobilisation : de Stuttgart à Paris en passant par Londres et Bruxelles, ils lèvent des fonds pour soutenir l’effort de guerre. La solidarité religieuse tout comme la défense de la liberté et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes sont des arguments pour organiser le soutien : les appels des comités sont extrêmement relayés dans la presse.

« Ils brûlent et dévastent tout en vrais barbares. Ils n'épargnent ni femmes, ni enfans ; c'est une désolation générale. S'ils continuent à poursuivre leurs succès, vous apprendrez bientôt, Messieurs, que le Péloponèse n'est plus qu'un désert ; alors quels reproches n'aura pas à se faire l'Europe chrétienne ! Nous venons d'apprendre à l'instant que l'ennemi est entré à Tripolitza ; les Grecs, en se retirant, ont brûlé cette ville et les campagnes environnantes. »
Extrait de la correspondance du général Roche au comité de la société philanthropique en faveur des Grecs (Le Constitutionnel, 7 août 1825)

 

Question :


Comment la publication de la lettre du général Roche dans le journal Le Constitutionnel est-elle au service de la mobilisation initiée par le comité de la société philanthropique en faveur des Grecs ?

 

Au printemps 1822, les atrocités du massacre de Chios déclenchent une intense émotion en Europe. L’irruption de cette guerre crée un choc dans les consciences européennes, et constitue une source d’inspiration pour les artistes et les écrivains. Au salon de 1824, Eugène Delacroix expose sa Scène des massacres de Scio : la toile est acquise par le roi Charles X et entre au Louvre. Victor Hugo s’inspire du même massacre dans son poème « L’Enfant grec ». 

Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil,
Chio, qu’ombrageaient les charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un chœur dansant de jeunes filles.
 
Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée.
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.
 
Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !
Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l’onde,
Pour que dans leur azur, de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tête blonde,
 
Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?
 
Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d’avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,
Qui d’Iran borde le puits sombre ?
Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu’un cheval au galop met, toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre ?
 
Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit ou l’oiseau merveilleux ?
– Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.

Poème « L’Enfant Grec » de Victor Hugo, extrait du recueil Les Orientales (1829)

 

Question :


Comment Victor Hugo caractérise-t-il le peuple grec dans ces vers ?

 

La traversée des apparences : la guerre réelle

Au-delà des mondanités et du secours matériel et moral des comités, d’autres formes de soutien existent : quelques milliers de volontaires s’engagent dans les combats. Cependant, la lutte armée désorganisée des philhellènes a souvent raison des idéaux romantiques des combattants. Nourris de leur éducation classique, de la mémoire des croisades et d’un désir conjoint de voyage et de guerre, ils se heurtent à la guerre réelle, loin de la guerre imaginée.

Peu nombreux (autour de 1200 volontaires), les engagés sont issus d’horizons politiques et sociaux divers : Italiens, Britanniques, Allemands, Français, Suisses ou encore Polonais, ils sont aussi bien anciens militaires qu’étudiants, libéraux que bonapartistes.

Lord Byron (1788-1824), poète anglais et figure de proue du romantisme, fait partie des engagés volontaires. Auteur du Pélerinage de Childe Harolde publié entre 1812 et 1818, il avait exalté les origines grecques des Européens. La siège et le prise de la ville de Missolonghi, qui aboutit en 1826, constituent un épisode marquant de la guerre par la violence des combats et des atrocités. Byron y meurt de maladie en 1821 ; il est rapidement élevé au rang de mythe.

Le fossé entre la guerre imaginée et la guerre réelle a donné lieu à une immense désillusion pour les combattants. Loin des gloires dépeintes dans les journaux, ils découvrent l’envers du décor : des conditions de voyage difficiles, un accueil parfois froid, et l’absence d’une armée régulière grecque. Les épidémies comme le typhus ou la peste se conjuguent à la chaleur, la faim et à la difficulté des longues marches en montagne. Les combattants assistent aussi à des scènes d’une violence extrême, notamment des tueries de masse ou encore des viols sur les civils. Loin d’être dissimilées, les massacres sont mis en scène. A ces difficultés s’ajoutent pour les survivants la confusion et l’amertume du retour.

« Tout le monde sait qu'il n'existe aucune espèce de routes en Morée, nulle chaussée qui vous élève au-dessus de la fange des maréages, nulle terrasse qui soutienne les terres éboulées. À chaque instant, il faut gravir des rochers, traverser des torrents, descendre en tournoyant les pentes les plus rapides. Après dix heures de fatigue, et quelquefois de dangers, c'est à peine si l'on trouve à la couchée des aliments et un abris. Les stations isolées qui, avant la guerre, jalonnaient le chemin, ont presque toutes disparu. »

Le récit d’un engagé volontaire philhellène (Le Globe, 12 septembre 1829)

 

Question :


Quelles sont les difficultés et les incertitudes exprimées par ce volontaire philhellène dans le journal Le Globe ?

 

Pour nourrir l’enthousiasme philhellène, des rumeurs et des fausses nouvelles étaient propagées dans la presse européenne. Les chiffres des combattants et des morts étaient faussés, des victoires étaient inventées et des récits de combats rendus épiques. La cruauté de la répression ottomane a aussi alimenté une forme de turcophobie. A la fois esthétisés et déshumanisés, les représentations de l’ennemi ont été mises au service d’une propagande philhellène.


 

Conclusion

Le philhellénisme a pu jouer un rôle cathartique et unificateur pour l’Europe voire l’Occident face à un ennemi séculaire, malgré son affaiblissement au XIXe siècle. L’émotion est toutefois éphémère : le philhellénisme tombe rapidement dans l’oubli après la guerre, même si sa mémoire est parfois convoquée au gré des soulèvements qui agitent l’Empire ottoman jusqu’à sa chute (les guerres balkaniques en 1912-1912 ou encore le génocide des Arméniens en 1915). Étudier le philhellénisme permet ainsi aux élèves de comprendre comment la fascination pour une guerre lointaine, qui a cristallisé les préoccupations et reflété les angoisses des Européens des années 1820.

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Pour en savoir plus :

Espagne Michel, PECOUT Gilles (dir.), « Philhellénismes et transferts culturels dans l’Europe du XIXe siècle », Revue germanique internationale, n° 1-2, 2005, p. 207-218 

Mazurel Hervé, Désirs de guerre et rêve d’Orient. Byron et les philhellènes dans la guerre d’indépendance grecque (1821-1830), Paris, Les Belles Lettres, 2012

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Sihem Bella est professeure d’histoire-géographie (Académie de Lille) et travaille sur Alger au XIXe siècle dans le cadre d'une thèse en histoire contemporaine (IRHiS, Université de Lille). Elle est membre de l’APHG (Association des Professeurs d’Histoire-Géographie).

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