Séquence pédagogique

France Grande-Bretagne : Fachoda, une histoire de rivalités impériales

le par - modifié le 04/04/2024
le par - modifié le 04/04/2024

1898. Une crise éclate autour de la ville soudanaise de Fachoda entre Français et Britanniques. Elle s’inscrit dans une histoire de rivalité entre les deux empires, qui représentent alors les deux nations les plus puissantes du monde. Cette concurrence se déploie à l’échelle internationale, principalement en Afrique et en Asie. Étudier la presse contemporaine avec les élèves leur permet de mesurer l’ampleur de ce choc des impérialismes.

Partenariat Histoire

L'APHG sur RetroNews !

Ces séquences pédagogiques sont réalisées chaque mois en partenariat avec l'Association des Professeurs d'Histoire-Géographie (APHG) par des professeur·e·s membres de  l'association.

Découvrir l'APHG

Dans les programmes de l’enseignement secondaire : 

Quatrième (L'Europe et le monde au XIXe siècle : Conquêtes et sociétés coloniales)

Première générale (thème « La Troisième République avant 1914 : un régime politique, un empire colonial - les rivalités coloniales des puissances européennes)

Première technologique (La Troisième République : un régime, un empire colonial)

Introduction 

En 1898, une crise éclate autour de la ville soudanaise de Fachoda entre Français et Britanniques. Elle s’inscrit dans une rivalité grandissante entre les deux puissances impériales.

Cette concurrence se déploie à l’échelle internationale, principalement en Afrique et en Asie. Étudier la presse contemporaine avec les élèves leur permet de mesurer l’ampleur de ce choc des impérialismes.

Une rivalité qui grandit et des opinions publiques qui s'expriment par la presse

L'Afrique et l'Asie sont les deux continents les plus concernés par les convoitises des puissances européennes. Les appropriations européennes sont de plus en plus continues et formelles à mesure que passe le XIXe siècle. Alors que les explorations et les conquêtes se multiplient, les blancs sur les cartes se raréfient. Si les empires se livrent une concurrence féroce, leurs dirigeants parviennent parfois à se concerter, comme lors de la conférence de Berlin en 1884-1885.

Le contexte est aussi celui d’une exacerbation des nationalismes en Europe, lesquels attisent les concurrences. L’émergence de ces idées est notamment permise par l’essor de la presse écrite, qui connaît alors un véritable apogée dans les nations concernées. Au sein de chacune d’elle, des opinions publiques s'expriment par les journaux ; il existe en outre des partis coloniaux, c’est-à-dire des groupes de pression appuyant la colonisation au sein des sociétés concernées.

Les acteurs qui les composent sont divers, issus de l’armée, des milieux d’affaires ou encore des milieux politiques. Mais ils ont un point commun : l’intérêt à voir s'enraciner la colonisation. Le parti colonial est par exemple représenté en France par le comité de l’Afrique française.

Document 1 : Extrait du Journal des débats politiques et littéraires (12 janvier 1891)

Question :


D’après cette une de 1891, quels sont les buts et les missions du comité de l’Afrique française ?

Plusieurs scandales émaillent les relations franco-britanniques, comme celui lié aux moqueries visant la France du Premier ministre britannique, Lord Salisbury. En 1899, il s’était moqué du « coq gaulois grattant les sables du Sahara », aux portes de la riche Égypte dominée par le Royaume-Uni. La presse est un moyen d’expression privilégié dans le déploiement des rivalités.

Document 2 : Extrait du journal La Vérité (26 octobre 1898)

« La caricature du "Punch"

On a lu hier l’histoire de ce docteur irlandais qui avait démoli à coups de parapluie une vitrine où s’étalait la caricature du Punch représentant le commandant Marchand sous les traits "d’un petit singe sur un orgue".

Au sujet de cette grossière caricature, le New-York Herald (édition de Paris) reçoit d’un lecteur anglais, M. Govett, la lettre suivante :

Au directeur du Herald :

Comme Anglais et comme lecteur de votre journal, permettez-moi de rendre public mon dégoût de la caricature du Punch, indigne d’un homme de cœur et d’un homme de bien élevé ; elle déverse le ridicule sur un homme brave et courageux, le major Marchand, qu’elle représente comme nn singe sur un orgue de Barbarie ; sur un homme qui vient d’accomplir ce qu’un grand journal anglais représente comme "un acte superbe, a superbe feat."

Représenter ainsi un pareil homme, c’est de quoi soulever le dégoût et l’indignation de tous les hommes capables de sentiments généreux et virils ; — et dans un moment où il y a entre deux grandes nations un antagonisme dangereux, cette caricature est pour tous les amis de la paix, du progrès et de l’humanité aussi inopportune que grossière.

Il y a un sentiment plus grand et plus profond que le patriotisme. C’est celui du respect et de l’admiration qu’ont tous les hommes pour ceux qui font de grandes choses ; ce sentiment domine et tempère le dépit et la jalousie que peuvent soulever les intérêts opposés des nations.

Signé : F. M. Govett.

Veytaux Vaud (Suisse), 23 octobre 1898. » 

Question :


Quels sont les enjeux soulevés par cet extrait du journal La Vérité, relatif à une caricature parue dans la presse britannique au sujet d'un officier français ?

Quels sont les enjeux soulevés par cet extrait du journal La Vérité, relatif à une caricature parue dans la presse britannique au sujet d'un officier français ?   

Des crises qui frôlent la guerre : un choc des puissances

Les rivalités entre les puissances mènent à des crises qui frôlent parfois la guerre. Celles-ci ne concernent d’ailleurs pas que les Français et les Britanniques, comme le montrent les exemples des crises de Tanger en 1905 et d'Agadir en 1911 entre Français et Allemands.

La crise de Fachoda, qui peut être considérée comme le point culminant des rivalités impériales franco-britanniques, éclate en 1898. Elle résulte de la contestation de la domination britannique en Égypte par les Français. Dans un contexte de colonisation où la maîtrise des cours d'eau est un enjeu stratégique de grande importance, la mainmise sur le Nil est capitale, tout comme celle sur le canal de Suez voisin.

Alors que les Britanniques étendent leur contrôle sur ce territoire, les Français cherchent à renforcer leurs possessions en Afrique orientale, autour de Djibouti. Le contrôle de Fachoda, qui avait été occupée par les Français plusieurs décennies auparavant, est essentielle pour la maîtrise du Haut-Nil. Un homme politique comme Théophile Delcassé, alors sous-secrétaire aux colonies, exprime ces ambitions.

Document 3 : Extrait du journal La Revue (1 octobre 1914)

« Théophile Delcassé. L’homme et sa politique.

Derrière les verres du lorgnon, les yeux brillent, perçants, et la figure tout entière exprime la résolution. Il est impossible de se trouver en face de ce gardien de la "grandeur nationale" sans être impressionné par sa personnalité. Sa réapparition au Palais-Bourbon après une année d’absence passée en Russie est un fait d’une grande importance. Sera-t-il une force nouvelle pour le parti des Briandistes ou celui des Combistes ? M. Delcassé n'appartient, à proprement parler, à aucun groupe et il prend un trop grand souci des intérêts de la France pour restreindre et maintenir ses idées dans les limites étroites d’une politique sectaire. Sa vie politique a toujours été liée étroitement aux intérêts nationaux..

Il apprit son métier d’homme d’État en étudiant d’abord les questions coloniales et en devenant plus tard Ministre des Colonies, puis Ministre des Affaires étrangères. Au moment de sa nomination à ce poste, l'horizon politique était sombre par suite de l’affaire de Fachoda qui demandait une solution rapide et digne. Il se tira avec honneur de cette passe difficile et sut démontrer que l’amitié de l’Angleterre était nécessaire à la France pour la protection de ses intérêts mondiaux.

Après avoir donné satisfaction dans la question marocaine à l’Angleterre, à l’Espagne et à l’Italie, M. Delcassé croyait bien en avoir fini avec cette affaire épineuse quand la bombe de l’intervention germanique éclata au beau milieu d’un tranquille Conseil de Cabinet : "Et les intérêts allemands au Maroc ? Quelle sera la compensation qu’on doit accorder à l’Allemagne ? Elle est mécontente et ses intérêts sont lésés." »

Question :


En quoi cet article illustre-t-il, à travers l'action de Théophile Delcassé, la volonté de renforcement de la politique coloniale française en Afrique orientale au tournant des XIXe et XXe siècle ?

C’est dans cet esprit de consolidation de la politique coloniale française que s’organisent des expéditions, comme celle menée par Jean-Baptiste Marchand reliant le Congo français et Fachoda.

La mission Marchand arrive à destination en juillet 1898 ; les troupes françaises se retrouvent alors face aux troupes britanniques du général Kitchener. Le risque de conflit ouvert en Europe étant trop important, les deux camps stationnés autour de Fachoda attendent une négociation diplomatique. Mais les Français ne parviennent pas à forcer la négociation avec les Britanniques ; en situation de faiblesse, ils quittent Fachoda. Le dénouement de la crise provoque le mécontentement d’une partie de l’opinion française, notamment les nationalistes. Dans le contexte de l’Affaire Dreyfus, les antidreyfusards opposent Jean-Baptiste Marchand à Alfred Dreyfus.

L’Affaire Dreyfus, qui illustre un regain d’hostilité franco-allemande, résonne aussi avec la volonté allemande d’accroître sa puissance coloniale. Cela participe à l’affaiblissement de la rivalité franco-britannique autour de l’Égypte, dans la mesure où les deux puissances s’entendent contre l’Empire allemand. Le soutien britannique à l’enracinement colonial français au Maroc illustre cette recherche d’équilibre.

 

Conclusion

Les rivalités entre Français et Britanniques s’expliquent largement par le processus de territorialisation des empires européens tout au long du XIXe siècle, surtout en Afrique et en Asie. Ce sont alors les deux nations les plus puissantes du monde. Ces rivalités ont laissé peu de place aux populations colonisées, largement lésées. En leur sein grandissent toutefois des velléités nationalistes, qui se déploient plus largement au XXe siècle. Les chemins vers les indépendances sont favorisés par les deux conflits mondiaux et leur système d'alliances, qui voient les puissances européennes s'entrechoquer avec une violence inouïe. 

_

Sihem Bella est professeure d’histoire-géographie (Académie de Lille) et travaille sur Alger au XIXe siècle dans le cadre d'une thèse en histoire contemporaine (IRHiS, Université de Lille). Elle est membre de l’APHG (Association des Professeurs d’Histoire-Géographie)