Chronique

La fausse légende de Louis XVI et Parmentier luttant contre la famine

le 02/06/2020 par Aurore Chéry
le 28/05/2020 par Aurore Chéry - modifié le 02/06/2020
« Parmentier et Louis XVI sur la plaine des Sablons », tableau d'Henri Gervex relatant l'anecdote, 1904 - source : WikiCommons
« Parmentier et Louis XVI sur la plaine des Sablons », tableau d'Henri Gervex relatant l'anecdote, 1904 - source : WikiCommons

Au XIXe siècle se diffuse une célèbre anecdote selon laquelle Louis XVI aurait soutenu les plantations de pommes de terre de Parmentier afin de sauver de la faim les paysans français. Néanmoins, les premières occurrences de cette histoire remontent… à la Restauration.

L'anecdote est bien connue : pour lutter contre la famine, Louis XVI aurait soutenu les plantations de pommes de terre d'Antoine-Augustin Parmentier dans la plaine des Sablons.

Un jour, le savant aurait apporté au roi les premières fleurs du tubercule pour que le souverain puisse en faire la promotion. Le roi piqua alors quelques fleurs à sa boutonnière et en offrit un bouquet à la reine. La scène a notamment été immortalisée par un tableau d'Henri Gervex [voir l’image d’ouverture], réalisé pour la mairie de Neuilly-sur-Seine en 1904.

Eut-elle une quelconque réalité ? Manifestement pas.

Sa première occurrence semble en effet dater du printemps 1814, soit sous la première Restauration, période pendant laquelle il était urgent de redorer l'image de la monarchie. Elle apparaît dans une notice nécrologique sur Parmentier, lue à l'Académie philantropique le 21 mai de la même année. On la trouve imprimée dans les Annales de l'Agriculture française :

« C'est ainsi que lorsqu'il couvrait la plaine des Sablons de cette culture, il faisait engager Louis XVI à porter à sa boutonnière, un jour de Cour, un bouquet de fleurs de cette plante ; et le roi eut la bonté de s'y prêter. »

On est là dans un imaginaire très similaire à celui des tableaux commandés par Louis XVIII pour honorer, en l'idéalisant, la mémoire de son défunt frère. Le Salon de 1817 exposa ainsi un Louis XVI donnant ses instructions à La Pérouse par Nicolas André Monsiau et un Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l'hiver de 1788 par Louis Hersent.

Sur ce dernier tableau, Louis XVI présente des traits très proches de ceux de Louis XVIII. Tant qu'à honorer la mémoire de son frère, autant en bénéficier soi-même.

Louis Hersent, Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l'hiver de 1788 – source : WikiCommons
Louis Hersent, Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l'hiver de 1788 – source : WikiCommons

On s'appuie parfois sur Arthur Young pour prouver la véracité de l'anecdote de la pomme de terre, mais Young ne parle nullement de Louis XVI. Il se contente toutefois de dire que, le 19 juin 1789, il a dîné chez Parmentier, aux Invalides, avec quelques autres membres de la société royale d'agriculture. Il ajoute ensuite laconiquement :

« Après dîner nous allâmes à la plaine des Sablons, pour voir les pommes de terre de la société et les préparatifs qu'elle fait pour des navets. »

On est bien loin de la mise en scène imaginée sous la Restauration et de la scène bucolique des bouquets de fleurs de pommes de terre offerts au roi. On ne saurait guère en déduire non plus que Louis XVI se soit jamais préoccupé des plantations de la plaine des Sablons.

Mais plus que Young, c'est le roman-feuilleton qui a contribué à diffuser l'anecdote. En 1842, elle est ainsi relatée dans Le Pain des pauvres, roman-feulleton du Courrier de Saône-et-Loire.

L'année suivante, Le Moniteur Universel annonçait que Louis-Philippe soutenait l'érection d'une statue de Parmentier à Montdidier, ville natale du savant.

Ce n'est apparemment qu'en 1846 qu'on commence à inventer une date pour la rencontre de Louis XVI et de Parmentier : il s’agit du 24 août, veille de la fête du roi mais aussi jour de la Saint-Barthélémy. Le Journal des villes et des campagnes nous dit ainsi « vers le vingt-quatrième jour d'août » 1784.

Ce jour a été largement adopté par la IIIe République mais avec des années fluctuantes. On trouve en effet aussi bien 1781 et 1782 que 1785, 1786 ou 1787. En 1886, La Petite République opte pour le 24 août 1781, Le Petit Troyen du 2 septembre 1900 donne quant à lui le 24 août 1782, Les Annales Politiques et Littéraires préfèrent le 24 août 1787 en 1917, etc.

1786 s'est trouvée en quelque sorte consacrée par un mystérieux centenaire de Parmentier célébré par Montdidier en 1886. Le Figaro était assez dubitatif :

« La désignation est impropre, Parmentier étant né à Montdidier en 1737 […]

Il s'agit en réalité du centenaire de l'introduction en France de la pomme de terre, qu'on peut fixer à 1786, et même à 1785. »

Mais si l'année fait si peu l'unanimité, comment expliquer que le 24 août fasse autorité ? Par son renvoi à la Saint-Barthélémy, cette date ne peut manquer de ramener au massacre des protestants du 24 août 1572. Le 24 août associait ainsi la pomme de terre à un événement sanglant et aux guerres de religion.

L'idée paraît curieuse mais elle s'inscrit pourtant dans un courant républicain cherchant à promouvoir un Louis XVI moins doux et pacifique que l'historiographie ne voulait le montrer, un Louis XVI qui, même pour nous, n'est pas encore très familier. On trouve un exemple de cette tendance dans les Mémoires de Brissot :

« Louis était de cette espèce bénigne de tyrans qui, énervés par la civilisation, ne commandent pas les exécutions sanglantes, mais pour qui elles sont toujours d'agréables surprises, quand le bourreau, sorti de derrière sa cloison, vient leur annoncer qu'il a compris leurs désirs, et que ceux qu'ils détestaient ont vécu. »

En 1862, ce sont les mémoires de la famille de bourreaux Sanson, intitulés Sept générations d'exécuteurs qui colportèrent la fausse anecdote selon laquelle Louis XVI avait transformé le couperet de la guillotine pour lui donner une forme en biais. Là encore, il s'agissait de montrer que le souverain était si peu hostile à l'idée de faire couler le sang qu'il ne rechignait pas à mettre la main à la pâte et à améliorer lui-même la guillotine.

Les républicains ont donc accepté de faire leur une anecdote inventée sous la Restauration, mais pas sans y ajouter une touche personnelle : le marqueur de la Saint-Barthélémy. Ils conservaient ainsi l'idée d'un Louis XVI plus violent que ne voulaient bien le montrer les monarchistes.

Aurore Chéry est historienne, chercheuse associée au laboratoire LARHRA. Elle travaille sur une biographie de Louis XVI à paraître, et est notamment coauteure des Historiens de garde, de Lorant Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national.

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Sept générations d'exécuteurs, 1688-1847
Sanson