Séquence pédagogique

Conflit du patrimoine : à qui appartient le Parthénon ?

le par - modifié le 15/02/2024
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Les fouilles archéologiques menées sur l’Acropole ont rapidement fait l’objet d’accusations de spoliation, notamment dans le cadre de l’affirmation de la nation grecque. Il s’agit de remonter aux origines de ce conflit patrimonial, engageant les Grecs, les Britanniques mais aussi les Français.

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Dans les programmes de l’enseignement secondaire :

Première générale (L’Europe entre restauration et révolution, 1814-1848)

Terminale générale, spécialité histoire-géographie-sciences politiques (thème sur le patrimoine)
 

Introduction

Monument emblématique de la Grèce classique, ce temple dédié à la déesse Athéna se dresse depuis le Ve siècle avant notre ère sur l'Acropole, point culminant d'Athènes. Il a été bâti à l’initiative du stratège Périclès, figure de la démocratie. Depuis l’Antiquité, son histoire est agitée : il fut tour à tour temple, trésor, église, mosquée ou encore réserve de poudre. Les destructions et les pillages qui ont l’ont touché ont beaucoup fait réagir les contemporains, notamment dans le cadre de l’affirmation de la nation grecque. Retraçons avec les élèves les moments forts des controverses largement relayées dans la presse autour de ce monument emblématique.

De la Grèce classique à l’Empire ottoman, le Parthénon traverse les siècles

L’édifice en marbre aux proportions harmonieuses est le fleuron de l’architecture grecque classique. Notamment sculptées par Phidias, ses frises représentent les Panathénées, fêtes donnant lieu à une procession dans la cité en l’honneur d’Athéna. En dépit d’un incendie important à la fin de l’Antiquité, les fonctions qu’il occupa contribuèrent à sa conservation : église durant le Moyen Âge ou encore mosquée, dès le XVIe siècle. 1687 marque cependant un tournant important dans son histoire.

« Dans la vue pittoresque de Parthénon, on voit encore debout les huit colonnes du frontispice. Elles sont d'un beau marbre blanc. Le fronton est presqu'entièrement détruit ; à peine si on peut encore distinguer quelques sculptures dans deux angles latéraux. Combien les arts ont dû gémir sur les suites funestes que la guerre entraîne après elle, lorsqu'en 1687, Athènes ayant été assiégée par les Vénitiens que commandaient les provéditeur Morosini et le comte de Koenigsmark, une bombe tomba sur cet admirable édifice et le réduisit dans l'état où on le voit sur la planche qui le représente ! Avant ce fâcheux accident il était assez bien conservé. EN 1676, Spon et Vhéler, dans le voyage qu'ils firent à Athènes, virent ce temple en entier : 13 ans plus tard il n'en existait plus que des ruines. »

- Extrait du journal mercure de France, 15 décembre 1810

Question :


En quoi l’année 1687 a-t-elle marqué l’histoire du Parthénon ?

Durant le XVIIIe siècle, les expéditions vers la Grèce se multiplient (de même que les prélèvements sur l’édifice). La pratique du Grand Tour, voyage de jeunes Européens fortunés pour parfaire leur éducation, contribuent à stimuler le goût de l’Antiquité. Au XIXe siècle, l’écossais Thomas Bruce, comte d’Elgin, cherche à développer l’industrie en s’inspirant de l’Antiquité, encouragé par l’Académie des Beaux-Arts de Londres. Ambassadeur à Constantinople, il parvint à bénéficier d’autorisations ambiguës pour prélever des pièces sur le monument, en payant grassement le commandant de la forteresse.

« Il fallait ménager à la fois I'amour-propre de quelques étrangers qui probablement ne figuraient point là comme de simples auditeurs, et satisfaire aux obligations qu’imposaient à un Fançais éclairé l’intérêt des beaux-arts et un noble sentiment d'orgueil national. C’est avec beaucoup d’adresse et de dignité que M. le secrétaire a rempli cette double tache. La lecture de son discours me fait vivement regretter de n'avoir pas assisté à la séance où il a été prononcé. J'aurais été curieux d’observer moi-même l'impression qu’ont dû produire sur mes compatriotes certains passages de ce discours. Celui, par exemple, où, rappelant qu'elle est la véritable morale des beaux-arts, M. le secrétaire de la classe s’est exprimé en ces termes :

« Ce ne sont point les Français qui ont arraché par lambeaux les sculptures de Phidias des monuments d’Athènes, et mis en ruine les portiques des temples violés. » Il est possible qu’en France tout le monde n’ait point saisi le sens de cette phrase ; mais à quel Anglais cette allusion a-t-elle pu échapper ? N’a-t-on point ainsi voulu signaler les profanations du lord Elgin, qui, après s’être emparé, moitié par ruse, moitié de vive force, des bas-reliefs du Parthénon, les a fait transporter sans grandes précautions en Angleterre ; les y a, suivant I'usage britannique, enfouis dans sa propre maison, et vient de finir par les vendre au British-Muséum pour la modique somme de 50,000 livres sterling, environ 1,300,00 fr. ? Après cela, qu’on s’avise encore de dire qu'à Londres nous n’aimons pas les beaux-arts, et que nous ne savons pas en tirer profit ? »

- Extrait du Mercure de France, 1er janvier 1815

Question :


Quels faits sont exposés et quel point de vue est défendu dans cet extrait au sujet du prélèvement par Elgin des marbres du Parthénon ?

Des voix s’élèvent également de la part de certains compatriotes d’Elgin constatant les dégâts. C’est le cas du poète Byron, qui dénonce les destructions et le pillage dans La Malédiction de Minerve (1812). Le débat autour des conditions de l’acquisition de ces pièces, toujours vivace aujourd’hui, se pose déjà.

L’affirmation de la nation grecque et la persistance des conflits

Dans les années 1820, la guerre d’indépendance des Grecs a mobilisé une partie des Européens contre l’Empire ottoman. Cet engouement était alimenté par un imaginaire guerrier aux accents orientalistes et romantiques. Dans les décennies qui suivirent en Europe, le passé antique de la Grèce constitua une inspiration littéraire et artistique majeure, d’Eugène Delacroix à Victor Hugo en passant par Lord Byron.

La place de la Grèce aux côtés de Rome comme creuset culturel européen explique la fascination dont le Parthénon fut l’objet. Il fut érigé en symbole de la Grèce classique, associé à son art, sa philosophie ou encore au système politique inédit dont elle fut le berceau, la démocratie.

Prolifique critique d’art, Théophile Gautier exprime régulièrement dans la presse cette admiration largement partagée en son temps pour l’art grec.

« Comme tous les peuples récemment sortis de la barbarie, les Grecs actuels copient la civilisation par son côté prosaïque et rêvent la rue de Rivoli à deux pas du Parthénon. Ils oublient humblement qu'ils ont été les premiers artistes du monde, et ils tâchent de nous copier, nous Welches, nous Vandales, nous Kimris, qui étions tatoués et portions des arêtes de poisson dans les narines quand Ictinus élevait le Parthénon et Mnesiclès les Propylées ! »

- Extrait du journal Le Moniteur Universel, 21 octobre 1852

« LE GUIDE DE L'ÉTRANGER DANS LE PARTHÉNON DE MONTMARTRE.

Évidemment il faut signaler en ce moment un retour vers l’antiquité. La trirème à Cherbourg, la mort de Priam aux Beaux-Arts et le Parthénon à Montmartre, voilà les trois premiers résultats de l’amour de l’antiquité à notre époque.

S’il est vrai, ainsi que les grands journaux l’annoncent, qu’une société d’amateurs songe sérieusement à reconstruire le Parthénon à Montmartre, on ne saurait trop féliciter de cette idée la généreuse tête qui l’a conçue.

Je vois déjà d’ici la butte Montmartre. Sur le sommet de la Montagne (soyons poétiques) le nouveau Parthénon se détache en gris sur le ciel rougeâtre de l’aurore !

De chaque côté du Parthénon s’élève un moulin à vent... Oh ! que c’est donc poétique et surtout antique ! 

Franchement, j’ai quelque peine à croire à cette reconstruction, dont je loue les intentions autant que j’en ignore l’utilité pour le quartier Montmartre... à moins pourtant qu’on ne veuille faire des hauteurs de Paris une nouvelle Athènes....

... Dans ce cas qu’on s’explique. Ah ! ce sera une belle entreprise que la reconstruction du Parthénon. Le dimanche le père de famille du Marais pourrait joindre l’instruction à l’agréable promenade en conduisant son Toto chéri au Parthénon.

L’invalide-guide des monuments publics sera remplacé au Parthénon par un pion sur le retour, qui fournira aux visiteurs non instruits tous les renseignements possibles sur la Grèce.

Je compose d’avance un guide dans la cité grecque de Montmartre. Le voici :

Le bourgeois qui voudra visiter le Parthénon aura à se déguiser en grec. Les loueurs de costumes de l’antiquité resteront ouverts à Montmartre dans la nuit du samedi au dimanche.

Admirer le bal des Folies-Périclès, autrefois Folies-Montmartre.

Les gandins de la rue du Théâtre à Montmartre ayant coupé la queue à leurs chiens, n’oubliez pas d’y faire attention.

Entrez : A la gloire d’Appelles, marchand de vins traiteur, spécialité de saucissons de Lyon.

Prenez des fauteuils au théâtre.

THEATRON.

Écoutez avec un recueillement tout religieux une tragédie d’Euripide et un vaudeville d’Aristophane.

Entre la tragédie et le vaudeville on lira une pièce de vers intitulée :

Millhiade à Marathon.

Essuyez vos pieds avant d’entrer au Parthénon, Parlez beaucoup et très haut de Praxilète, vous aurez l’air d’un noble étranger ou d’un homme bien élevé.

Prouvez à vos voisins que l’illustre Homère n’est pas né en Asie, mais bien rue de Paris, à Montmatre. Gela vous donnera une tournure de savant et pourrait vous conduire à l’Académie.

Si vous êtes avec une dame, causez de Platon. Expliquez-lui la philosophie de l’amour du célèbre disciple de Socrate. La dame vous en saura gré.

Si par hasard vous rencontrez une Phrynée au théâtre (theatron), offrez lui un sucre d’orge, ainsi que cela se pratiquait dans l’antiquité. Visitez ensuite le Parthénon de Montmartre,

PARTENOS.

Le pion attaché à l’établissement vous expliquera que les Perses ont détruit le Parthénon et qu’il fut rebâti par Ingres Périclès, qui était membre de la commission pour la reconstruction du PARTÉNOS.

Demandez à voir la statue d’or et d’ivoire de Phidias, réduction Collas.

Recommandez à votre fils Toto la lecture de l’histoire des Grecs. Rien ne forme mieux l’esprit et le cœur.

Et maintenant, à l’œuvre, maçons ! Reconstruisez le Parthénon sur les hauteurs de Montmar tre ; vous doterez la capitale d’une belle chose.

Quel beau jour que celui où on lira sur les omnibus : Le la barrière d Enfer au Parthénon.

Voyez-vous d’ici le bourgeois grimper sur l’impériale en criant au conducteur :

— Voici trois sous pour aller au Parthénon. Quand posera-t-on le premier bloc de marbre ?

Qn ne sait encore au juste l’époque, mais la chose se fera, et alors nous entendrons les nobles Limousins s’écrier au comptoir du marchand de vins :

— Eh 1 l’Abruti l encore un canon avant d’aller travailler au Parthénon l Vivent les Grecs ! »

- Extrait du Charivari, 14 juillet 1851

Question :


De quel « Parthénon de Montmartre » est-il question dans cet extrait du Charivari ?

S’il est ici question d’une forme moquée d’appropriation de l’édifice emblématique, la mémoire des dégradations passées persiste, comme le montre cet extrait du journal Musée des Familles (29 août 1895).

Les conflits autour de l’appropriation de ses sculptures persistent également. Le Parthénon a continué de subir les assauts des conflits au XXe siècle, comme pendant la Première Guerre mondiale.

 

Question :


Quel est le contexte de la photographie suivante, extraite du Monde illustré ?

Durant la Seconde Guerre mondiale, en mai 1941, deux jeunes Grecs, Apostolos Santas et Manolis Glézos, retirent le drapeau nazi de l’Acropole. Cet acte de résistance fit date, comme le montre ces lignes de L’Humanité publiées quelques années plus tard. Une preuve supplémentaire, s’il en fallait, du pouvoir symbolique si pérenne du lieu.

Conclusion

Les conflits autour de la restitution des marbres sont particulièrement vivaces en Grèce depuis les années 1980 ; ils ont contribué à entretenir l’importance du symbole que revêt le Parthénon pour la nation grecque. Aujourd’hui, la majorité des éléments sculptés reste en effet dispersée dans les musées européens - à Copenhague, à Paris et surtout à Londres.

L’absence de musée adapté sur le site du Parthénon a longtemps été la raison convoquée pour éviter la restitution à la Grèce. Replacer les sculptures in situ n’est pas envisageable pour des raisons de conservation. A Athènes, le musée de l’Acropole est prêt à les accueillir depuis les années 2000 : actuellement, des moulages y sont exposés. Le British Museum défend sa vocation universelle, qui justifierait le maintien des œuvres à Londres ; une solution de prêt à long terme est parfois envisagée, sans que la question ne soit définitivement tranchée.

Pour aller plus loin

Mary Beard, Le Parthénon, Paris, Tallandier, 2020

François Queyrel, Le Parthénon : un monument dans l’Histoire, Paris, Bartillat, 2008 

Des capsules vidéos sur le site de l’APHG : Le Parthénon aux XVIIIe et XIXe siècles, Le Parthénon et les conflits du patrimoine

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Sihem Bella est professeure d’histoire-géographie (Académie de Lille) et travaille sur Alger au XIXe siècle dans le cadre d'une thèse en histoire contemporaine (IRHiS, Université de Lille). Elle est membre de l’APHG (Association des Professeurs d’Histoire-Géographie).

 

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