La dénonciation de la condition des Martiniquais mêle deux dimensions discursives : au traitement hérité de l’esclavagisme s’adjoint un comportement révélateur d’une « féodalité industrielle », le tout allié à une « magistrature corrompue et servile » (Jean-Maurice Hermann, 9 janvier 1936). Le procès qui s’ouvre à Bordeaux doit bannir l’impunité, rétablir la justice. La péroraison de l’article de Jean-Maurice Hermann au moment où va commencer le procès, adjure le jury de se comporter en dignes représentants de la justice :
« Un crime a été commis dans des conditions atroces. L'esprit se révolte à l'idée qu'un tribunal puisse le juger sur un dossier aussi vide, aussi tendancieux, établi par des hommes aussi récusables. Une nouvelle instruction, ou plutôt une vraie instruction s'impose.
Ce n'est pas une vengeance que nous cherchons.
Nous ne voulons rien d'autre que la lumière et la justice. Que la Cour pense aux répercussions que sa décision aura là-bas, dans ces Antilles où vient de parader une délégation officielle, et où elle est attendue avec une impatience désespérée.
Si vous tuez au cœur de ces hommes de couleur, si bons et si sincères, la dernière étincelle de leur foi dans la justice, ne craignez-vous pas d'avoir du même coup tué leur dernier attachement à une France qui ne les a libérés des marchands d'esclaves que pour les livrer à d'autres maîtres, encore plus féroces et corrompus ? »
Simone Téry, pour sa part, convoque dans sa conclusion une valeur morale : « La France va-t-elle être déshonorée à Bordeaux comme elle l’a été l'an dernier à Nantes ? Tout ce qu'il y a d'honnête en France a les yeux fixés sur les jurés de Bordeaux ». Une « honnête[té] » qui s’exprimera principalement grâce aux témoins cités par la partie civile. Des témoins célèbres pour les lecteurs des journaux s’attachant à rendre justice à André Aliker.
Parmi eux, Denise Moran, par conséquent non-envoyée par son journal au procès de Bordeaux. Dans un article de sa propre plume publié le 18 janvier 1936, elle indique qu’elle y est citée comme témoin parce qu’elle « étudia cette affaire pour La Lumière ». Quant aux autres, mentionnons avec ses mots l’avocat au procès de Nantes Alexandre Zévaès, René Maran, « l'écrivain noir bien connu », Andrée Viollis, Francis Jourdain et Magdeleine Paz, « spécialistes des questions coloniales ».
Il revient donc à ses confrères Hermann et Téry de parler desdits témoins dans leurs reportages. « Francis Jourdain, Denise Moran, sont expédiés en quelques secondes », stipule le premier. « Me Zévaès est écouté non sans impatience […]. André Aliker, frère de la victime, est expédié. Francis Jourdain ne peut placer un mot. Denise Moran est interrompue dès les premières phrases », s’agace la seconde.
Magdeleine Paz, quant à elle, n’a pas pu se rendre au procès. Elle a envoyé sa déposition par lettre, déposition dont Le Populaire du 22 janvier publie l’essentiel des lignes. Fidèle à ses convictions et à l’énergie avec laquelle elle les défend, elle ne mâche pas ses mots :
« André Aliker a été attaqué parce qu'aux colonies, la vie d'un indigène ne compte pas.
André Aliker s'est vu refuser les moyens de se mettre en état de légitime défense, parce qu'aux colonies, la vie d'un indigène ne compte pas.
André Aliker a été assassiné, parce qu'aux colonies, la vie d'un indigène ne compte pas. »